Suons en Suède…
On arrive en Suède le jour de Midsommar, la fête nationale. Enfin la veille de la fête parce que le jour même de Midsommar, il ne se passe rien : tout le monde cuve ce qu’il a bu la veille. Le vendredi, par contre, on danse en famille autour d’un mât fleuri avec des couronnes de fleurs dans les cheveux, on mange des patates nouvelles, du hareng et des fraises et on boit de l’aquavit. Alors quand on débarque du ferry à Göteborg en fin d’après-midi, la ville est totalement déserte.
On traverse un pont impressionnant sous lequel passent les ferrys et on pédale à travers une interminable zone industrielle jusqu’à Torslanda où nous accueillent Peter et Susanne du réseau Warmshower. Ils n’ont jamais reçu de famille et sont impressionnés par les filles qui jouent si bien ensemble et par le peu de rigidité de notre organisation ! Nous on est impressionnés d’être accueillis si chaleureusement. On mange nos premières boulettes de viande, on discute beaucoup, on envisage la suite de notre itinéraire avec leurs conseils. Le lendemain, au petit déjeuner, Peter téléphone à un vélociste qu’il connait et qui vend des Pino sur l’île de Hönö. Nous avons besoin d’un morceau de béquille et John, dont boutique est fermée – il est censé se remettre de la veille ! – , l’ouvre pour nous et démonte l’un de ses tandems pour nous fournir ce qui nous manque. Aucun doute, nous sommes en terre accueillante !
L’île de Hönö est très mignonne, on y pique-nique sur une plage rocheuse et venteuse. L’eau est tiède mais le fond tapissé de crabes. D’ailleurs, des enfants en pêchent avec un fil sur lequel ils ont accroché une moule avec une pince à linge. En quelques secondes, un beau crabe s’accroche à la moule et ils le remontent sans mal. Ils en ont des pleines bassines qu’ils rejettent ensuite dans la mer. Les filles observent ce ballet avec un mélange d’excitation et de peur.
Puis on reprend le bateau pour quitter l’île et on pédale vers le nord. La route est longée par une large piste cyclable mais qui s’arrête parfois sans signalisation. Et puis désormais, ce n’est plus aussi plat qu’au Danemark et on doit un peu calculer notre itinéraire en fonction du relief.
Le soir, on trouve facilement un endroit magnifique au bord de l’eau à proximité d’un port. On fait une promenade sur les rochers avant de planter la tente dans le vent. Dans la soirée, pas mal de promeneurs viennent marcher le long de l’eau et nous saluent poliment. Aucun n’a l’air étonné de nous voir là et on se réjouit de voir que le camping sauvage est effectivement dans la culture nationale.
Au matin, le vent s’est calmé et on prend la route de Kungälv où on nous a indiqué un vieux château et un centre commercial pour que Miha rachète un téléphone. Nous sommes dimanche, weekend de fête nationale mais toutes les boutiques sont ouvertes et on y trouve ce qu’on cherche. Puis on continue notre route vers le nord le long du canal-rivière de Trollhätan pour aller rendre visite à Marie, une ancienne doctorante de Miha venue ici en famille pour quelques mois.
Le soir approche et on sent que ça ne va pas être simple de trouver un coin où camper. A gauche de la route, une forêt escarpée, à droite, des champs cultivés puis la rivière. On trouve un accès au canal entre deux maisons et un endroit où on pourrait se poser alors on va demander de l’eau et l’autorisation à un habitant tout proche. On nous répond qu’on pourrait mais qu’il est déconseillé de dormir à moins de 200 mètres de l’eau pour ne pas risquer de la polluer. C’est donc ça, le fonctionnement suédois : officiellement autorisé mais officieusement interdit. On se dit que ce serait sûrement l’inverse en France ! Au lieu de ça, il nous conseille un shelter au bord d’un lac dans la forêt. Ca a l’air parfait mais ça implique 10 km de plus dont 7 de chemin qui monte sachant qu’il est 18h30 et qu’on a déjà fait 50km. On remercie donc gentiment et on continue notre route jusqu’au chemin suivant. Il s’enfonce entre les champs de blé et aboutit… à une prairie tondue en bordure de la rivière, avec même un arbre pour s’abriter du soleil qui se lève à 4h00, et pas l’ombre d’un moustique – seulement des taons et des tiques mais sur le moment, ça nous embête moins ! Le canal est parfait pour se rafraichir et on regarde passer quelques bateaux et même une énorme péniche en se disant qu’ils doivent polluer bien plus que nous !
Le matin, il fait presque trop chaud, c’est la première fois que ça nous arrive ! D’ailleurs, des orages sont prévus le soir et on voudrait bien arriver à Trollhätan avant eux. On roule sur des petites routes vallonnées qui serpentent entre des champs de blé et des forêts de pins parsemés de quelques grosses fermes. On pourrait être dans le Jura !
Le midi, on trouve un accès à la rivière pour se rafraichir et au moment de repartir, c’est l’averse qui nous tombe dessus qui nous rafraichit bien ! Ca faisait bien longtemps qu’on n’avait pas vu de pluie… On trace jusqu’à Trollhätan et on arrive chez Marie juste avant l’apéro et le déluge, bien joué ! On y passe une bonne soirée autour d’un incontournable boulettes-confiture d’airelles-purée… et d’une bonne bouteille de vin français apportée par ses parents en visite. Les filles sont contentes de trouver une copine, une cabane et des jouets et sont déjà tristes de savoir qu’on repart le lendemain.
Mais au petit matin, Alma a mal au ventre et ne semble pas avoir la force de quitter son matelas et sa bassine. C’est déjà arrivé quelques fois et passé comme c’était venu alors on ne s’inquiète pas trop mais on se demande si on va vraiment repartir ce jour-là parce que c’est quand même très sympa chez Marie, Nicolas et Héloïse et que c’est peut-être le dernier lit qu’on verra jusqu’à notre retour – en fait, pas du tout, mais sur le moment, on le suppose ! En fin de matinée, Alma finit par se lever comme si de rien n’était mais on a clairement perdu la motivation et on passe donc la journée à Trollhätan à visiter les aires de jeux locales et les impressionnantes écluses.
Le jour suivant, on repart pour de bon plein ouest pour retrouver la côte. C’est beau mais ça monte et ça descend tout le temps, jamais très haut mais ça finit par faire des dénivelés positifs non négligeables à la fin de la journée…
Le midi, on s’arrête par hasard sur un stade à côté duquel se trouve un shelter avec de l’eau, des toilettes, du bois, un parcours de jeux… tout ce dont on peut rêver ! Les bivouaqueurs peuvent aussi trouver leur bonheur en Suède, en voilà une bonne nouvelle ! En approfondissant un peu la question, on se rend compte qu’ils sont souvent à destination des randonneurs et donc peu accessibles à vélo mais on ne perd pas espoir d’en croiser à nouveau.
Pour ce soir, on a repéré un tout petit port où on sera sûrs d’être tranquilles. Le paysage est magnifique et on trouve même que le vent ajoute un certain charme. On marche prudemment jusqu’au bout du très long ponton où sont amarrées quelques barques, on a l’impression d’être seuls au milieu de la mer. Alors qu’on s’apprête à s’installer pour le repas, Martin et Amanda, qui habitent la maison juste à côté, arrivent avec le leur. Ils nous proposent de partager les légumes de leur jardin, regrettent que le vent les empêche de nous amener faire un tour en bateau et nous offrent finalement la cabane de leur jardin pour se mettre à l’abri et dormir dans un vrai lit. De leur terrasse, la vue sur la mer et les îles environnantes est splendide, on pense au bonheur que ce doit être de voir ce paysage chaque jour.
On s’installe donc chez eux avec plaisir et on fait la connaissance de leurs drôles de chats sans poils qui courent dans une grande roue à hamster. On se sent rapidement comme chez nous et comme toujours, on adore discuter, découvrir et apprendre avec les gens du pays. Ils nous proposent de rester une nuit de plus, Martin fait une formation de masseur et pourrait nous choyer les muscles, Amanda a une amie journaliste à la TV qui voudrait bien faire un reportage sur nous… mais on les laisse à leur télétravail et on reprend la route pleins de gratitude et de conseils sur la suite de l’itinéraire.
On roule par monts et par vaux jusqu’à Lysekil, joli port qu’on admire sous la grisaille puis on continue notre route vers le nord en espérant trouver un coin au bord de l’eau où dormir. En chemin, on demande à un bricoleur s’il peut remplir nos bidons et s’il a un conseil bivouac et il nous indique une petite plage un peu plus loin. Tout en bas de la grande descente qui y mène, un tout petit panneau tout neuf avec une tente barrée, probablement à cause des récents risques de feu. On hésite beaucoup mais il est déjà tard, le ciel est gris foncé, on est fatigués et il y a un petit emplacement parfait sur l’herbe bien tondue alors on cède à la tentation et on s’y installe. De toute façon, c’est un cul de sac et on n’y voit effectivement personne.
Le lendemain, c’est vendredi, veille des vacances et tout le monde semble avoir décidé de partir ce jour-là. Et nous, pas de bol, on se dirige vers Smögen, ses cabanes multicolores et ses touristes… La route est longue, venteuse, circulante… désagréable malgré les paysages magnifiques qu’elle traverse. Et pas moyen de trouver des alternatives : le relief est beaucoup plus accidenté et le réseau routier beaucoup moins dense qu’au Danemark et si on veut aller au bout d’une presqu’île, il n’y a souvent qu’un chemin possible. Ca fait plusieurs jours qu’on se retrouve sur ce genre de route et même si les conducteurs suédois sont exemplaires envers les cyclistes, c’est pas très agréable d’être cramponné à son guidon et de ne pas pouvoir se parler. On est déjà nostalgiques du Danemark au point qu’on envisage de renoncer à la Norvège qui s’annonce pareille, en prenant un ferry qui nous ramène chez les Danois, mais on se ravise et on passe encore plus de temps le nez dans nos cartes pour trouver le meilleur itinéraire.
A Smögen, le vent souffle encore plus fort et on peine à traverser le pont qui nous y mène. Les alentours du port sont très touristiques mais c’est incontestablement très beau. Par contre, plusieurs panneaux qu’on comprend à moitié semblent indiquer qu’on ne peut pas camper sur l’île et on se demande où on va pouvoir se poser et comment on va se protéger du vent.
On fait le plein d’eau et de courses avant de quitter la ville et un Norvégien – que nous appellerons Knut parce que j’ai oublié son prénom – nous aborde sur le parking du supermarché. Il est fan de notre tandem et il voudrait convaincre sa femme qu’on peut voyager à vélo avec des enfants de cet âge. En quelques phrases, il nous propose de venir dormir dans la cabane de pêcheur dont il a les clés, juste à côté de sa maison de vacances. On l’accompagne en discutant jusqu’à un magnifique petit port et nous montre la cabane en question devant laquelle quelques vieux boivent l’apéro. Eux aussi sont impressionnés par nos vélos et nous proposent après quelques mots de passer la nuit dans l’autre cabane, juste derrière, celle d’un copain qui nous la prêtera volontiers.
Et voilà qu’en quelques minutes, on passe du doute à l’excitation ! Knut ouvre la porte et nous montre la belle table en bois, le hamac et les tapis sur lesquels on peut dormir. Tout est décoré avec gout et authenticité et la vue sur la mer à quelques pas est magique. On s’extasie, on photographie, on savoure. On partait dans l’idée que les Scandinaves n’étaient pas les personnes les plus chaleureuses qui soient et on est d’autant plus heureux de toutes ces rencontres et cette générosité. Chacun rentre chez soi et je commence à déballer les affaires… quand Knut revient me voir tout confus pour me dire que sa femme n’est pas d’accord pour qu’on dorme ici parce que c’est officiellement interdit et qu’elle a peur de ce que pourraient en penser les voisins. Pas de cabane en bois rouge pour nous ce soir, snif…
Il est vraiment embêté et propose de nous montrer un endroit où on peut planter la tente tout près, sur un petit terrain de foot au milieu des rochers à deux pas de la mer. Il est déjà tard et on plante la tente laborieusement dans les rafales de vent qui ont même fait tomber la cage de foot. On l’arnache du mieux qu’on peut mais on n’est pas très sereins d’entendre les bourrasques et on espère très fort qu’elle va y résister jusqu’au matin, encore plus courageusement que la chèvre de Monsieur Seguin !
Le matin, le vent s’est calmé, la tente et les vélos ne se sont pas envolés, et Knut vient en famille nous apporter des gaufres et de la confiture pour le petit déjeuner. C’est décidé, on aimera aussi les Norvégiens !
Par contre, on est un peu effrayés par les prévisions météo et les alertes aux vents violents annoncées. Il aurait soufflé à 50km/h cette nuit-là et des rafales à 90 km/h – agrémentées d’averses pour encore plus de fun – sont prévues dans les jours à venir… difficile de pédaler et de camper dans ces conditions… Les campings ressemblent plus à des aires de camping-cars et ne garantissent pas d’être abrités du vent, il n’y a pas de shelters dans les environs ni de warmshower alors on se résigne à louer de quoi passer quelques nuits au sec. Comme on a de la chance, on trouve une maison entière, à la déco parfaitement kitsch mais au toit étanche et pas chère du tout à Tanum, là où on comptait justement s’arrêter pour aller voir les gravures rupestres et le port de Grebbestad.
On y pose nos sacoches pour deux jours et on en profite pour aller se promener entre les rochers gravés et manger dans un resto chaudement recommandé par Marie, le premier de notre voyage ! Pour célébrer l’événement et compenser tous ceux qu’on a loupés, Miha se plante dans sa commande et on se retrouve avec de quoi manger pour plusieurs repas… aujourd’hui, les mollets se reposent et les estomacs travaillent ! Et puis c’est l’occasion de préparer les 40 ans que je fêterai dans quelques jours, mais ça c’est un secret, comme me l’a dit et répété Alma en chuchotant !
Dans deux jours, nous serons en Norvège (probablement) et il n’y aura plus de vent (peut-être)…