Carnet de route

Splendeurs et misères de la Norvège

La météo est capricieuse en Norvège et on mesure chaque jour à quel point nous en dépendons… Ce qu’on a du mal à gérer surtout, ce sont les changements brutaux, les averses inattendues qui nous détrempent en quelques minutes, les nuages menaçants qui soudain recouvrent le ciel et les prévisions qui nous semblent parfaitement aléatoires. On sait que le temps est instable et qu’il faut toujours avoir le kway à portée de main mais impossible de prévoir à quel moment on va se faire saucer. Et dans ces paysages certes splendides mais peu habités, il est compliqué de trouver un abri improvisé. Alors on met les deux filles à l’abri dans la charrette, ce qui m’alourdit sacrément et vu le nombre de montées et la qualité de mes freins en descente quand il pleut, c’est un peu rude pour moi. Double peine quand il pleut…

On se rend compte aussi que dans chaque pays, il faut trouver un nouveau fonctionnement en fonction des possibilités offertes. En Norvège, warmshower semble peu développé, on ne trouve quasiment pas d’abris et les campings sont surtout à destination des camping-cars donc aucune chance d’y trouver une pièce où être au sec. Et puis ils sont chers et payer pour être moins bien que dans la nature, à quoi bon… En plus, nous sommes désormais en période de vacances et les cabanes ou mobil-homes à louer sont partout complets. Il reste Airbnb, quand c’est possible et abordable, et on trouve de quoi être à l’abri à Larvik puis à Brevik. Entre les deux, on réussit à pédaler entre les averses et on prend un ferry qui nous permet de couper un peu la route et de faire une belle promenade entre les îles. Le vent souffle et le bateau tangue, il passe parfois à quelques mètres des rochers, tant les couloirs de passage sont étroits, et nous offre des vues magnifiques sur ces cabanes en bois rouges posées au milieu de la mer. 

La nuit, des trombes d’eau tombent sur nos vélos garés dehors. On est soulagés d’être à l’abri et un peu affolés de se dire qu’on ne trouvera pas tous les jours de quoi nous épargner une nuit sous la tente dans ces conditions. On se dit aussi que pour apprécier la Norvège, il faut vraiment avoir le moral et les mollets bien accrochés… Pour se consoler de ne pas pouvoir profiter du grand air, on achète et on goute ce qu’on trouve d’insolite dans les magasins : du fromage marron, bien sûr, mais aussi du steak de baleine et du foie de morue fumée !

Le jour suivant s’annonce plus calme en terme de pluviométrie mais pas de dénivelé. Les petites routes sinueuses sont belles, elles serpentent entre les lacs et les bras de mer, entre les pins, les girolles et les fraises des bois. A midi, on s’arrête au bord d’un lac où on se gave de myrtilles puis on reprend la route confiants malgré les nuages… qui nous arrosent copieusement peu après. Il ne fait pas froid alors on se laisse tremper sereinement. Le vent nous sèchera. 

On arrive à Kragerø trempés mais sous un ciel bleu ! Une piscine est creusée juste au bord de la mer et les filles qui ont échappé à la pluie veulent s’y tremper. Elles pataugent un peu puis on se dirige vers une petite plage à l’extérieur de la ville pour y dormir. C’est minuscule mais tout à fait charmant : un petit coin d’herbe avec une table en bois, un râteau pour enlever les cacas d’oie qui tapissent le sol et une grande malle de jouets de plage à disposition. Le soir, on regarde les bateaux passer et le soleil se coucher entre les rochers. Cela vaut bien quelques montées sous la pluie… 

Encore deux ferrys au programme de la journée et de quoi faire chauffer les mollets entre les deux ! Le deuxième est en bois, le plus ancien du pays encore en circulation. Il est simple et bruyant mais c’est une chouette expérience de monter à bord et de zigzaguer entre les îlots. On apprécie un peu moins quand la pluie nous attaque soudainement mais comme souvent, ça ne dure pas très longtemps, juste le temps de nous mouiller ! Et puis les paysages magnifiques, il faut les mériter à coup de beaux pourcentages ! On les vainc certes plus facilement qu’il y a quelques mois mais on sent bien que nos vélos de 100 kg et nos mollets de touristes ne sont pas adaptés à ce genre de relief…

On arrive à Risør trempés et bien couverts alors que les touristes aux terrasses des glaciers semblent accablés de chaleur. Non seulement, on peut avoir les 4 saisons dans une même journée mais on peut même les avoir au même moment à quelques kilomètres d’écart !

On fait un tour dans les ruelles de la ville puis on pédale jusqu’à chez Oskar et Anne, les seuls inscrits sur warmshower de toute la côte sud ! On aurait pu camper ce soir là mais on aime rencontrer les gens des pays qu’on traverse et pouvoir discuter autour d’un repas est toujours un plaisir ! Ce soir-là, ça l’est d’autant plus que le repas est typique et délicieux et la tablée est grande : leurs enfants sont en vacances ici, Asgeir et sa copine, Åshild et Jørgen avec leurs deux petites filles. Alma et Léna sont ravies de trouver des copines, des Legos et des livres et on ne les entend pas de la soirée, passionnées qu’elles sont par leurs jeux. Nous on discute gaiment, on savoure la beauté de la vue depuis la terrasse et la chaleur du salon, on apprend plein de choses sur la Norvège et sur les Norvégiens. Le soir, Oskar et Åshild nous amènent sur la colline au-dessus de chez eux pour voir des vestiges des blockhaus qui fascinent Alma.

La nuit, on a beau être bien installés, on dort mal tous les deux. On pense à la météo à venir, à la pluie à laquelle on n’échappera pas et à la solution qu’on n’a pas encore. On a l’impression de sentir la même tension intérieure qu’en Angleterre, devoir composer chaque jour pour trouver où dormir au sec et comment éviter le plus possible le dénivelé. Au matin, Oskar et Anne ont préparé un petit déjeuner royal, bien plus copieux que nos repas. En discutant, Jørgen nous demande quelle sera notre prochaine étape et nous propose tout naturellement de nous laisser les clés de leur maison, à Arendal, exactement là où nous craignons de rester coincés sous la pluie. L’horizon s’éclaire soudain, on est aussi soulagés que reconnaissants et on prend la route le cœur léger. On a pas mal de dénivelé en perspective mais savoir que nous aurons un toit pour le soir et le lendemain nous fait pousser des ailes ! 

Leur maison est charmante et on savoure tout le confort qu’elle offre en regardant la pluie tomber dru. On fait des gaufres et une lessive, les filles profitent de la baignoire et de la bibliothèque et on visite un musée des sciences pour enfants mais qui plait beaucoup à tout le monde. La matinée suivante est pluvieuse et on attend l’accalmie annoncée pour reprendre la route. En début d’après-midi, on se croit sauvés des eaux mais on doit s’abriter quelques kilomètres à peine après le départ. En réalité, il pleut par intermittence jusqu’au soir et on finit par jeter la tente sur un coin de terrain de foot pour s’abriter d’une n-ième averse. Si on avait su, on serait restés une nuit de plus à Arendal !

Le temps devrait être plus sec dans les prochains jours et on décide de rester un peu plus en Norvège au lieu de prendre le ferry comme prévu à Kristiansand qui n’est plus qu’à quelques kilomètres. On veut croire qu’il ne pleut pas forcément tous les jours et on aime par-dessus tout la nature sauvage qu’on trouve ici. On sait bien que le retour aux Pays-Bas signera la fin des bivouacs, des fjords, de l’inconnu, du silence… un peu la fin du voyage qu’on ne veut pas voir arriver en fait… Après avoir retourné la carte dans tous les sens, on choisit de suivre la véloroute 3 qui remonte une vallée au nord de la ville. Et nous la redescendrons quand la pluie reviendra. 

On reste sur la côte jusqu’à Lillesand, joli village touristique où on mange nos premières glaces norvégiennes, puis on bifurque vers le nord, les sacoches pleines de cèpes pour le repas du soir. Sur la carte, on a repéré un petit hameau au bord d’une rivière et on pense pouvoir y dormir mais tous les champs semblent privés alors on demande conseil à Ragnhild et Marlene qui rentrent de leur baignade. On les accompagne chez le paysan voisin qui nous laisse sans problème s’installer sur ses terres et en discutant sur le chemin, Ragnhild nous propose plutôt son jardin. Il faut gravir une colline mais l’emplacement royal, avec vue magnifique sur la vallée et services de rêve ! Les filles font un festin de framboises et de concombre du jardin et câlinent les adorables chatons pendant qu’on cuisine notre montagne de champignons. Le matin, on discute avec notre hôtesse mi-impressionnée, mi-envieuse avant de reprendre la route. 

Pour rejoindre la vallée qu’on va remonter, il faut d’abord faire une belle ascension, probablement la plus haute du voyage mais la route est agréable et on monte lentement mais sûrement pour retrouver la véloroute 3 qui longe ensuite la rivière Otra et ses fjords. 

Les paysages sont encore plus beaux que sur la côte, beaucoup plus sauvages surtout. On ne croise que quelques rares maisons et il faut être un peu plus organisés que d’habitude pour gérer le ravitaillement. Le chemin passe par pas mal de tunnels, il est en pente douce mais souvent caillouteux et on n’avance pas bien vite mais ça nous laisse le temps de savourer le ballet des nuages et leurs reflets sur l’eau. On fait aussi pas mal de pauses pour ramasser notre ration quotidienne de champignons : quelques bolets orangés tous les jours et un gros paquet de girolles sur le bord du chemin, que les filles nous aident à cueillir en sautillant. Dans cette vallée, on trouve chaque soir des magnifiques spots de bivouac au bord de l’eau et au milieu des myrtilles qu’on mange par poignées. Bien sûr, il faut toujours composer avec quelques averses quotidiennes impromptues et des températures pas franchement estivales mais ça n’enlève rien au plaisir de pédaler ici. On se dit qu’on aurait mieux fait de s’éloigner de la côte plus vite et aussi qu’on reviendra pour explorer davantage l’intérieur des terres, c’est tellement frustrant de savoir qu’on va devoir bientôt rebrousser chemin… 

Pour éviter un peu de dénivelé, on décide d’emprunter un tout petit chemin forestier qui longe les bords de Byglandsfjord et c’est là qu’on tombe sur une plage magnifique, pile à l’heure du pique-nique. Le cadre est paradisiaque : de l’eau claire, du sable fin et l’impression d’être seuls au monde. Les filles se lancent dans des constructions de châteaux de sable et on décide rapidement qu’on pourrait rester ici jusqu’au lendemain puisque de toute façon, nous ferons demi-tour le jour suivant : le pluie est annoncée en fin de semaine et il va bien falloir se résoudre à se rapprocher de la France… On installe donc la tente dans un coin de la plage et on part en exploration dans les pieds de myrtilles. On en revient le ventre plein et avec un seau, une pelle et un ballon gonflable abandonnés sur les rochers, qui font le bonheur des filles pour le reste de l’après-midi. Le soir, on fait un feu pour griller quelques chamallows écrasés au fond d’une sacoche depuis bien longtemps. Il en faut peu, pour être heureux !

Au moment où les filles s’endorment, on regarde la carte et on discute du lendemain. Et si on restait ici un jour de plus ? Le magasin le plus proche est à 22km, bien trop pour envisager d’y aller se ravitailler, mais en cueillant plein de myrtilles, en sortant le paquet de pâtes de secours et en faisant les fonds de sacoches, on devrait s’en sortir. Pour l’eau, celle du lac bouillie fera l’affaire, pour les téléphones, on s’en passera, et pour les couches de Léna… c’est l’occasion de ne pas lui en mettre ! Et c’est encore mieux de ne pas avoir tout ce dont on pourrait avoir besoin… 

En préparant ce voyage, on s’imaginait faire souvent des jours de pause pour profiter du temps qui passe et on ne l’a finalement presque jamais fait. Là, seuls sur cette plage aussi belle qu’isolée, sans autre programme que de passer la journée ensemble dans la nature, on touche enfin à ce qu’on est venus chercher… Je retrouve ce sentiment de plénitude que j’avais ressenti il y a 10 ans, lorsque j’avais passé une nuit à la belle étoile à côté du moulin où nous nous sommes mariés : j’avais trouvé la communion avec la nature que je cherchais et j’avais pris le chemin du retour sereinement en me promettant de revenir… Et c’est tout à fait ce qu’on se dit ici : nous avons atteint notre but, nous pouvons désormais prendre le chemin du retour… et revenir dans quelques années !

Toute la journée, on se prend pour Robinson Crusoe sur son île : on cueille des myrtilles, on fait du feu, on se lave dans le fjord, on fait des constructions en pommes de pin, on se raconte des histoires… et Léna fait son premier caca dans le pot (on espère qu’il ne lui faudra pas un cadre aussi pittoresque pour les suivants !) Jusqu’à ce que notre tranquillité soit brisée par des hurlements féroces qui se rapprochent jusqu’à nous atteindre : cinq gaillards bien éméchés et leur gros chien débarquent alors avec un chariot de bières, un drapeau pirate et l’intention de passer la soirée ici ! En quelques secondes, on perçoit que notre petit paradis risque de se transformer en enfer. Ils tournent un peu, observent les lieux et finissent par regagner le chemin pour s’installer un peu plus loin… ouf… 

Après ces deux jours hors du temps, on reprend la route de l’avant-veille pour redescendre la vallée avant que la pluie ne nous rattrape. On s’arrête à Evje où on avait déjà profité d’un combo gagnant : aire de jeux avec de quoi faire les courses et recharger les téléphones et les bidons, puis on continue notre route pour s’approcher le plus possible de Kristiansand. On avait repéré un shelter au bord de la rivière en remontant la vallée et il est encore plus idyllique que ce qu’on avait vu de loin. Pour un dernier bivouac norvégien, on ne pouvait pas mieux faire ! On mange nos champignons et nos myrtilles quotidiens à côté du feu en regardant les arbres flamboyer sous le soleil couchant. Ce genre de moment de grâce vaut bien d’en baver un peu… 

La pluie est annoncée pour le lendemain et les jours suivants mais on se réveille sous un grand soleil… pour une fois, la météo a été moins optimiste que la réalité ! Par prudence, on avait de toute façon réservé une nuit à l’abri pour arriver propres et sereins au ferry mais tant que le ciel est bleu, on prend le temps de flâner. En remontant la vallée, on avait aperçu de loin un train à vapeur qui circule justement le dimanche jusqu’au village où on passe. On s’y arrête alors pour pique-niquer et remplir notre tupperware de framboises sauvages en attendant que le train arrive. De loin, on l’entend siffler avant d’apercevoir sa fumée blanche. C’est un sacré spectacle de le voir manœuvrer, changer les aiguillages, remplir son réservoir d’eau et de charbon… même si on est clairement plus impressionnés que les filles qui sont bien plus intéressées par les glaces vendues dans la petite gare !

Il nous reste désormais une vingtaine de kilomètres que nous ferons demain matin sous la pluie pour rejoindre Kristiansand et y prendre le ferry qui nous mènera à la frontière entre Allemagne et Pays-Bas. Il ne restera alors qu’un petit millier de kilomètres à faire pour arriver à Nancy… déjà si proche… 

2 Comments

  • Geneviève DUCHENE

    Franchement, que de magnifiques paysages ! On se sent en vacances qrien qu’à te lire ! Je comprends que vous n’ayez pas tellement envie de rentrer !

    • Jeanne

      On relira les articles quand on aura besoin de vacances désormais, on verra si ça marche aussi quand on a vu les paysages en vrai 😉