Scotch eggs and custard pie
Voilà ! Nous avons quitté la perfide Albion en ferry hier soir et retrouvé – avec soulagement, il faut bien l’avouer – des terres bien plus propices au cyclotourisme…
Après bien des réflexions lors de notre soirée à Oxford, nous avons décidé de pédaler en trois jours les 170 km qui nous séparent de Cambridge puis d’y prendre un train pour la côte, ce qui nous épargnerait deux jours de vélo. Nous avons renoncé à faire du camping sauvage et nous ne voyons aucun camping sur notre chemin, il faut donc trouver de quoi passer nos nuits et notre itinéraire se construit en fonction des points de chute que l’on parvient à dégotter. On essaie d’être créatifs dans nos recherches mais force est de constater que l’offre est bien maigre ! Rien sur Warmshower, pas beaucoup mieux sur Airbnb ou sur Booking alors on cherche les pubs sur la carte et on appelle pour savoir s’ils ont de la place pour une tente ou des chambres mais en vain. Miha trouve la page Facebook d’un village dans lequel on aimerait dormir, elle contient tout de tas de publicités et d’annonces diverses alors il essaie de poster un message dans lequel il demande si quelqu’un pourrait nous laisser un coin de son jardin mais malgré plusieurs tentatives, le message est blacklisté par le modérateur. Même demander à camper n’est apparemment pas toléré ! En désespoir de cause, il envoie un message à Rob qui se présente aux prochaines élections municipales et qui le fait savoir haut et fort ! Et Rob répond ! Pas pour nous proposer son jardin mais nous donne quand même un bon tuyau. Nous finissons donc pas trouver un hôtel, parfaitement glauque mais salutaire, et une chambre chez l’habitant pour les deux nuits qui nous séparent de Cambridge.
C’est un peu triste mais pendant ces trois jours, on pédale parce qu’il faut mais sans vraiment l’apprécier ni profiter de ce qui nous entoure. Il y a toujours des magnifiques parterres de jonquilles, des mignons cottages au toit de chaume et des charmantes églises en pierre mais il y a aussi beaucoup de vent, pas mal de pluie et même un peu de grêle. Et il fait toujours aussi froid. Pour nous consoler, le dénivelé est plus doux et parfois même le vent nous aide. Les deux premiers jours, on avance plus vite que ce qu’on pensait. Les nuages dansent dans le ciel, et même si on sait qu’il vont finir par s’épancher, on doit bien admettre qu’ils forment un bien beau tableau avec la verdure des prairies moutonneuses. On traverse Milton Keynes, une interminable ville nouvelle qui semble être sortie de terre pour un décor de film et qui nous impose 20 kilomètres de périphérique – certes sur piste cyclable mais en kilomètres ressentis, ça fait au moins le double !
Le 3ème jour, c’est vraiment la catastrophe. Le froid nous glace, la pluie mouille pour de vrai et le vent souffle de face. On pédale à peu près au sec une trentaine de kilomètres le matin et au moment du pique-nique, c’est le déluge. On met les filles à l’abri dans la charrette et on attend patiemment l’accalmie, raide comme des piquets dans notre outfit en kway intégral. Miha se demande ce qu’on fait là… Moi je me le suis demandé pendant une semaine et l’horizon du train à Cambridge me fait désormais prendre les choses plus légèrement. Evidemment, la pluie dure… tellement qu’on reprend malgré tout la route en se disant qu’on s’arrêtera plus loin pour manger le dessert et changer la couche de Léna. Au moment où on peut enfin s’arrêter, Léna est totalement trempée à l’intérieur de sa « combi de maison » comme elle l’appelle, ce qui nous prouve ses qualités en terme d’étanchéité mais ne nous réjouit guère !
A quelques kilomètres de notre but, un pont sur l’autoroute face auquel le gps nous amène, avec un escalier clairement infranchissable avec nos montures… le sort s’acharne ! Pas le choix, il faut bien se résigner à faire les 8 kilomètres de détour même pas plats, ce qui donne l’occasion à Miha de crever pour encore plus de fun !
Heureusement, nous sommes accueillis ce soir chez Lisa et Alan, des amis de nos hôtes à La Rochelle qui habitent à une vingtaine de kilomètres de Cambridge. Quelle joie de passer une soirée avec des anglais intéressants, curieux, généreux… mais pas vraiment étonnés par ce que nous leur racontons de ce que nous avons vécu jusqu’ici dans leur pays. Ils habitent une maisonnette au toit de chaume du XVIème siècle, aux poutres et planchers magnifiquement tordus. Miha ne passe pas sous les portes et touche presque le plafond, on dirait une maison de hobbit d’un autre temps et c’est un voyage dans une autre époque que d’y passer la nuit.
Le lendemain matin, nous pédalons jusqu’à Cambridge pour retrouver Alice et Jules, venus nous rejoindre depuis Londres. On passe une belle journée à visiter la ville à pied et à découvrir le St John’s College. C’est un samedi ensoleillé et les rues sont très animées, tout comme la Cam, la rivière qui traverse la ville en lui donnant des airs de Venise et sur laquelle touristes et étudiants font du « punting » avec leurs grands batons sur des bateau à fond plat. Ca fait du bien de voir la famille, de ne pas pédaler, de manger au resto, de profiter du soleil, de se laisser guider… Ils ne s’étonnent pas non plus de la solitude que nous avons ressentie dans leur pays d’adoption et nous confirment que la mentalité n’a rien à voir avec celle d’Irlande ou d’Ecosse, que nous avions effectivement testée et appréciée. Nous passons la soirée ensemble dans un Airbnb et nous nous séparons à la gare le dimanche matin.
On appréhendait le train et finalement, c’était étonnamment simple. Pas d’escalier ni au départ ni à l’arrivée et des vélos qui rentrent sans problème dans le wagon qui leur était destiné. Nous descendons à Ipswich, au terminus, et forcément, c’est un peu sportif : la charrette à manoeuvrer, les 8 sacoches, le duffle bag, la tente qu’il a fallu détacher, les filles sur le quai, la porte du train qui se referme sans cesse, les deux vélos à faire reculer dans l’aller pour qu’ils puissent sortir… Dans le feu de l’action, on galère un peu mais on s’en sort pas trop mal. Une fois tout arrivé à quai, on se rend compte qu’une dizaine de personnes ont attendu à côté des portes du train, sans aucune impatience certes, mais pas une n’a eu l’idée de nous donner un coup de main et on n’en revient pas de cette indifférence qui semble un sport national !
Il nous reste une vingtaine de kilomètres à faire pour atteindre Shotley Gate où on doit prendre un bac qui nous amène enfin à Harwich d’où part le ferry. On trouve tout de même le temps de quelques courses pour faire des réserves de shortbreads, de scones et de cheddar extra mature et on s’arrête pour pique-niquer sous un pont autoroutier à côté de carcasses de bateaux. Miha, très voltairien dans l’âme, conclut que « tous les évènements se sont enchaînés dans le meilleur des mondes possibles » car si nous n’avions pas été virés du coin tranquille où nous avions planté la tente, si nous n’avions pas galéré sur des routes en montagnes russes, si nous ne nous étions pas réveillés trempés par la condensation de la tente, si la pluie ne nous avait pas mouillés tous les jours… nous ne mangerions pas là des scotch eggs froids et des custard pies de supermarché !
Officiellement, le bac pour Harwich est pour piétons et vélos mais il faut enjamber la coque pour monter à bord et charger nos vélos et la charrette est un sacré challenge. Par chance, on est seuls sur le bateau et la capitaine et sa matelote sont vraiment adorables. Elles nous aident vaillamment à tout embarquer et nous voilà à destination en fin d’après-midi. On avait tellement peur que l’une des étapes foire qu’on n’avait pas osé acheter les billets pour le ferry avant mais heureusement, il reste encore des places.
Comme le ferry ne part qu’à 23h et qu’il fait déjà très froid, on se dit qu’il faudrait qu’on trouve un pub tranquille où les filles pourraient dessiner et où on pourrait manger. Le premier est bruyant et bondé, le deuxième tellement vide qu’il va fermer, le troisième ni trop plein ni trop vide mais ne sert pas à manger… On échoue finalement dans une espèce d’immense cafétéria dans laquelle on mange fort mal mais pour pas cher et au chaud ! Puis on met les filles en pyjama dans la charrette pour pédaler jusqu’au port. Alma est toute excitée, elle se demande si les étoiles nous suivent ou si c’est nous qui les suivons et interroge Léna : « Tu sais que le ciel il appartient à l’univers ? Et tu sais qu’autrefois, y’avait des prisons pour hommes et des prisons pour femmes? Et tu sais comment on fait la différence entre un homme et une femme? Et tu sais…» etc etc… pendant 5 kilomètres !
Dans la queue pour entrer dans le ferry, on est juste derrière une voiture russe qui n’a apparemment pas ses papiers en règle. Les voitures défilent au guichet d’à côté et nous on reste coincés là dans le froid si longtemps qu’on nous demande finalement de changer de file. On se décale donc et nous voyant arriver, la Porsche à notre niveau avance pour bien coller la voiture de devant. On lève les yeux au ciel en se disant qu’on passera après elle et le conducteur suivant a le même comportement, nous regardant franchement avant de nous barrer la route pour passer avant nous. C’est vraiment un détail mais qui nous laisse pantois ! Pourquoi tant d’égoïsme ?! Ce soir-là, on va dormir dans un lit bien chaud et se réveiller au pays des pistes cyclables alors on le prend en souriant mais quitter l’Angleterre sur cette dernière expérience nous laisse un goût tristement amer…
3 Comments
Geneviève DUCHENE
Oh la vache, ça ne donne pas envie de faire du cylotourisme en Angleterre. Ceci dit, pour avoir été en camping en 2019 dans le Sud de l’Angleterre, je ne suis pas vraiment surprise, l’état d’esprit était réellement individualiste et peu accueillant, et la douane pénible déjà à l’époque.
Marc Frémond
Et bien au moins vous l’aurez vécu et ça donnera encore plus de valeurs aux nouvelles découvertes et rencontres que vous ferez par la suite !
Belle route à vous au Pays du vélo 😊
Jeanne
C’est ce qu’on se dit… maintenant qu’on n’y est plus ! 😅 Et on se réjouit aussi d’avoir commencé par là et de ne pas l’avoir fait après les Pays-Bas, le choc aurait été encore plus rude !
On continue en terre cycliste avec bonheur…