Carnet de route

Quelques jours autour d’Hambourg

Comme on le craignait, on a fait une belle pause à Stade pour éviter la pluie mais c’est le lendemain qu’elle nous tombe dessus alors qu’on pédale vers Hambourg. Comme on arrive par la rive sud, on prend un bateau-bus qui nous mène jusqu’au centre et nous permet de traverser l’immense zone portuaire en quelques minutes et à l’abri. Arrivés en centre ville, on valide notre ticket pour le concours du spot de pique-nique le plus glauque, debout sous un porche de la gare, devant les chiottes publiques, le seul endroit abrité que l’on trouve… On traverse la zone des entrepôts puis on profite de la ville pour passer à Décathlon. Avec les petits vélos de démonstration, Alma pédale plus dans les rayons qu’en deux mois sur le tandem !

La famille de Warmshower qui nous accueille n’est pas disponible ce soir-là mais laisse leurs clés à une adorable voisine française et on passe donc la soirée au sec chez eux. Leurs emplois du temps sont bien chargés et ils nous accueillent malgré tout comme si on était de vieux amis. On a une chambre pour nous dans un bel appartement et les filles trouvent une tablée de Legos et une collection de livres, le grand luxe ! 

Le lendemain, sur les conseils de Veit, notre hôte, on va visiter la Elbphilarmonie, magnifique bâtiment duquel on a une belle vue sur la ville et dont les filles retiennent exclusivement l’immense escalier roulant.

Sur la place de la mairie, on a rendez-vous avec les Raccourcycles, une famille partie de Lourdes juste après nous et dont la compagnie est spontanément agréable. On passe une bonne partie de l’après-midi dans l’aire de jeux du jardin botanique. Les enfants batifolent, les parents bavardent… Personne ne sait trop ce qu’il fera le lendemain, on savoure la joie de cette belle rencontre. Rentrés chacun chez notre hôte Warmshower, on s’envoie simultanément presque le même message : « Finalement, on reste un jour de plus à Hambourg, et si on revoyait demain ? » Le temps est magnifique, les jeux d’eau font le bonheur des enfants et nous on a encore plein de choses à se dire.

Et puis il est temps de se quitter pour de vrai, eux prennent le train pour arriver plus vite au Danemark et nous on remonte encore un peu l’Elbe pour y arriver moins vite ! Mais rendez-vous est pris pour se raconter la fin de nos voyages à notre prochaine virée béarnaise… 

On retourne chez nos hôtes qui nous ont gentiment proposé de nous joindre à leur fête des voisins. Les filles se mêlent aux nombreux enfants qui jouent dans le grand jardin. Nous on discute, un verre à la main, et on se dit qu’il fait bon vivre dans ce quartier…

Le lendemain matin, nos hôtes partent en vacances et nous on reprend la route. Comme on est un peu à l’avance sur notre vague programme, on décide de broder avant de rejoindre le Danemark et on remonte encore un peu l’Elbe au lieur d’aller directement vers Lübeck. Alma est à l’avant du Pino, elle pédale peu mais parle beaucoup et invente chaque jour un nouveau jeu auquel Miha participe consciencieusement ! Par exemple, l’un dit une phrase et l’autre doit deviner son auteur mais ne dire que la première lettre de son prénom. Ou alors Alma chante une chanson en oslé, la langue qu’elle parle avec ses amis imaginaires, et Miha doit retrouver sa version slovène. Avec Léna sur le tandem, c’est pas la même ambiance. Elle montre tout un tas de choses, il essaie de lui apprendre à compter, le nom des doigts, la droite et la gauche mais les résultats ne sont pas encore très probants ! 

Le soir venu, on trouve un bel endroit au bord du fleuve pour poser la tente, seuls et tranquilles face aux péniches qui passent lentement.

A Lauenburg, on le traverse pour longer le canal qui relie l’Elbe à la Baltique. Il fait beau et la route est très calme, l’occasion de tester une nouvelle configuration avec les deux filles à l’avant du tandem. Elles sont ravies et chantent gaiment. Moi je me dis que plus il fait chaud, plus la charrette s’allège et le tandem s’alourdit, ce qui me fait d’autant plus apprécier le printemps ! En fin d’après-midi, on s’arrête au bord d’un lac dans un très grand camping aussi mort que délabré mais dont le cadre est charmant. Il fait beau, les filles patouillent dans le sable et on décide finalement de rester y dormir même si on n’a pas de jetons pour la douche. De toute façon, il semble n’y avoir que des emplacements annuels et l’accueil n’est ouvert que deux heures par jour, ce qui nous donne une bonne occasion de partir sans payer ! 

Dans la nuit, Léna me réveille en toussant. Une toux inhabituelle qui me fait comprendre assez vite qu’elle est en train de vomir. En moins de deux, on déballe les lingettes et on se réjouit qu’il n’y ait que sa mousse, facile à laver, qui ait été touchée. Léna a l’air plutôt sereine et on se rendort tous tranquillement. Au deuxième round, on avait déjà prévu le tapis à langer et il suffit de lui essuyer la bouche. Au troisième, la serviette de toilette était déjà sous sa tête et au quatrième, on avait même la bassine pliable sous le coude. Au matin, elle est en pleine forme, on lave gaiment notre linge, on transforme le vélo en étendoir et on se félicite d’avoir si bien géré. On se dit qu’une nuit de vomi sous la tente, c’est déjà un très haut level d’aventure et qu’on l’a validé haut la main ! La suite nous dira qu’on peut faire beaucoup mieux… 

Puisqu’on n’est pas pressé, on décide de s’arrêter à Mölln pour faire un tour dans la vieille ville. Une classe y est en sortie scolaire et les filles écoutent attentivement la guide raconter en allemand l’histoire de Till Eulenspiegel. Devant sa statue, elles jouent avec l’eau de la fontaine et on ne manque pas de lui toucher le pouce et le pied pour nous porter chance.

Le canal est un peu monotone alors on bifurque pour rejoindre le lac de Ratzeburg. On se retrouve sur des chemins à affronter des montées qu’on n’avait plus vues depuis un moment mais il fait bon et c’est très beau. D’un côté le bleu du lac, de l’autre le jaune des champs de colza. Après les jonquilles en Angleterre et les tulipes aux Pays-Bas, voilà la saison du colza qui brille si fort sous le soleil. Dans un village, on demande à une vieille qui jardine si elle peut nous remplir nos bidons et on repart avec de la bière et des jus de fruits… le pouvoir d’attendrissement des filles dans la charrette est incroyable ! 

Sur la carte, on a repéré une petite plage au bord du lac sur laquelle on pense pouvoir camper et elle est effectivement parfaite. Les filles se jettent sur le sable avec les quelques jouets de plage achetés à Mölln, on mange au son du clapotis de l’eau en regardant le soleil descendre sur le lac. Le matin, on ne se presse pas, le cadre est magnifique et comme le vent souffle fort, on n’a pas de grandes ambitions kilométriques. Et puis une camionnette arrive et se gare près de nous. Les cantonniers se regardent, nous regardent, discutent entre eux. On fait d’abord semblant de rien et on s’agite pour faire semblant que notre départ est imminent en réfléchissant à la défense à adopter. Au moment où l’un sort du véhicule, je m’empresse de lui dire, un peu confuse, qu’on part bientôt. Il répond par un grand sourire qu’on peut rester, qu’on a très bien choisi l’endroit et qu’il vont juste tondre les bordures ! On n’en revient pas, toujours un peu échaudés par notre expérience anglaise… Puis un petit vieux se pointe et vient nous faire la causette. Son père aussi est allé jusqu’en France à vélo… pendant la guerre !

On a beau être bien accueillis, on finit tout de même par partir en direction de Lübeck où on arrive à l’heure du pique-nique. On fait un tour dans la ville en essayant de passer entre les gouttes et les bourrasques de vent. Et quand il n’est plus possible de passer entre, on se réfugie dans un café pour gouter au célèbre Marzipan local. Comme souvent, on est vite lassés des villes et les filles encore plus alors on les met à l’abri dans la charrette et on reprend la route pour trouver où dormir. Ce soir encore, on plante la tente au calme entre prairie et forêt, au pied d’une tour d’observation. Les filles s’inventent des prénoms, des situations et des explorations à mener et nous on se réjouit de les voir jouer si bien avec si peu. 

La journée s’annonce encore venteuse et comme la dernière douche commence à remonter, on se dit que c’est l’occasion d’aller à la piscine ! On trouve un splendide centre thermal au bord de la mer dans lequel les filles passent l’après-midi à sauter, glisser, barboter, éclabousser et nous on savoure d’être là au chaud plutôt qu’à batailler contre le vent… 

La côte de la baltique est très touristique, surtout en ce weekend de l’Ascension, et on se demande bien ce que tout ce monde lui trouve ! Les plages sont étroites, souvent payantes et le vent est tel que sans Strandkorb, il est difficile d’y lézarder. Ces fauteuils abrités couvrent le sable et sont à louer pour 11€ la journée tout de même. Et en plus, ils sont souvent dos à la mer pour être protégés du vent ! La densité de campings est impressionnante et les campings eux-mêmes aussi : on dirait des parkings de concessionnaires de camping-cars tant les véhicules sont serrés, ce qui ne fait que confirmer notre gout pour le bivouac ! Ce soir-là, on trouve encore un charmant bord de lac où les filles se lancent dans la gestion d’un élevage de chiens imaginaires avant de tomber de sommeil, épuisées par les heures passées à la piscine. 

Au petit matin, Léna s’assied, un peu hagarde, dégageant une odeur absolument nauséabonde. Miha se réveille en sursaut et par réflexe sort promptement une lingette pour lui essuyer la bouche… avant de se rendre compte que la source du problème est ailleurs… Des chaussettes jusqu’au milieu du dos, elle est tartinée de diarrhée et chacun de ses mouvements en étale un peu plus quelque part, sur la polaire de Miha qui lui sert d’oreiller, sur la tente, dans la capuche du duvet… Là on peut dire qu’on a atteint un sommet ! On essaie d’éloigner ce qui rend l’air irrespirable, on savonne succinctement Léna qui chantonne avec le peu d’eau froide qui nous reste et on l’enfile dans notre duvet pour essayer de finir la nuit avant de réfléchir à la stratégie de rattrapage à adopter, en particulier concernant le duvet en plumes. Miha essaie de laver ce qu’il peut dans l’eau du lac, moi j’essaie de frotter délicatement le sac de couchage mais l’odeur est tenace et je finis par lui imposer un bain d’eau de lac savonneuse, qui ne résout pas tout mais c’est le mieux qu’on puisse faire avec les moyens du bord.

Et puis on cherche le moyen de faire une lessive dans la journée et comme tout problème a sa solution, on trouve le contact de Helge. Il gère tout un tas de locations de vacances, des chambres, des gîtes, des tiny houses, des cabanes pour dormir dans le foin, dans son grand jardin où les poules en liberté et les enfants en tricycle divaguent. On peut aussi y camper, moyennant finance normalement mais gratuitement si on est un vrai cycliste, c’est-à-dire avec sacoches mais sans vélo électrique, explique-t-il. Ce lieu est pour nous ! On ajoute notre autocollant au panneau des cartes et articles de ceux qui nous ont précédés et on discute agréablement avec Helge qui nous prête sa machine à laver. L’endroit est magnifique, la douche bienvenue, les quelques vacanciers sympathiques. Miha en profite pour s’entrainer à faire des crêpes au butagaz pour le gâteau d’anniversaire promis à Alma pendant que les filles testent tous les jouets à disposition. Elles décrètent d’ailleurs que c’est leur camping préféré parce qu’il y a un toboggan, du sable et une sacrée collection d’engins à pédales. Il en faudrait bien plus des beaux campings comme celui-là et des belles personnes comme Helge !

On n’est plus très loin du ferry pour le Danemark mais comme tout sera sûrement moins simple à expliquer et plus cher là-bas, on reste une nuit de plus ici et on s’occupe de changer mon pneu arrière déjà bien usé, de racheter du gaz, de renvoyer un colis avec quelques affaires en trop, d’envoyer quelques cartes postales… 

Ce soir, on dort sur l’île de Fehmarn. Demain on passera les 3000 km et on débarquera dans le cinquième pays de notre voyage…