La Lituanie
A l’arrivée à Vilnius, la Lufthansa nous rend nos vélos en état presque parfait. On peut donc gouter d’entrée à la pluie balte !
Pour se faire d’entrée une idée sur le pays, on goute directement aux cepelinai, une espèce de knödel gélatineux, et à la messe orthodoxe, austère et presque effrayante.Vilnius est vivante et animée, très agréable même si Miha trouve qu’on se croirait à Ljubljana et que ce n’est pas assez dépaysant.
L’autoroute pour quitter la ville est beaucoup moins sympathique mais elle est incontournable alors on la supporte et on pédale jusqu’au château de Trakai, celui qui illustre la couverture des guides touristiques. L’endroit est mignon mais on ne s’y attarde pas. Les touristes, les glaces et les pédalos ne nous plaisent pas beaucoup. Un peu plus loin, on trouve un étang au bord duquel on peut planter notre tente. L’eau est tiède, le calme absolu, nous sommes déjà séduits par la Lituanie.
Comme le dit le guide sans ménagement, le centre du pays est de peu d’intérêt touristique et c’est vrai que les villes sont rares et ne nous semblent pas incontournables. La campagne, au contraire, nous plait bien plus. Des petites routes, souvent même des chemins, traversent des étendues champêtres rarement cultivées et jamais clôturées. Parfois, une vache enchainée broute tranquillement, accompagnée d’un couple de cigognes. Le soir, on voit les vieilles venir les traire avec leur sceau. On se croirait à une autre époque.
On trouve partout pommes, myrtilles, prunes, champignons mais la situation s’avère plus compliquée pour l’eau. Celle que nous trouvons dans les toilettes publiques ou les stations-services est si mauvaise qu’on doute de sa potabilité et il n’y a pas de robinets dans les cimetières, quel malheur ! Ils sont pourtant charmants, ces cimetières, plus fleuris que pierreux, parfois scindés en deux : les catholiques d’un côté, les orthodoxes de l’autre.
On finit par comprendre que l’eau qui se boit ici vient des puits. Enfin de certains puits. Les villages possèdent leur puits et la population vient quotidiennement y remplir ses bidons d’eau pure et glacée, parfois sacrément ferrugineuse tant au gout et qu’à l’odeur. C’est d’ailleurs devant le puits de Rukla que je discute avec Ramis qui parle étonnamment bien français. Il s’avère qu’il est dans la légion étrangère à Colmar, rencontre improbable qui nous permet de trouver où dormir cette nuit-là ! Il nous propose son jardin pour y poser notre «guitoune», comme il dit, et nous indique les toilettes «au cas où la chiasse arrive» !
Le jour suivant, nous continuons gentiment notre route vers la Colline aux croix, au centre du pays, en essayant le plus possible d’éviter les grands axes mais ce n’est pas toujours chose aisée lorsqu’on veut aussi éviter les chemins caillouteux… Les maisons se ressemblent toutes et me plaisent bien, surtout si elles tombent un peu en ruine ! Elles semblent avoir toutes la même architecture, seul change l’état de délabrement de la peinture !
Linguistiquement, les échanges ne sont pas simples. La plupart des gens se débrouillent un peu en anglais mais nous abordent volontiers en russe. On trouve les Lituaniens plutôt interactifs mais notre capacité à interagir en lituanien, elle, reste malheureusement plus que limitée… Miha fait ce qu’il peut en mélangeant savamment russe et slovène. Moi je fais ce que je peux en mélangeant gestes et grimaces ! L’un comme l’autre, nous sommes parfaitement désarmés lorsqu’il s’agit de communiquer avec les alcooliques locaux et loquaces venus chercher leur bière quotidienne à la supérette du village. Et d’autant plus désarmés lorsqu’il faut s’extraire de leurs étreintes musclées aux effluves douteuses…
Tout en pédalant, on se dit qu’on a bien fait de venir pédaler ici ! Le dénivelé est anecdotique, la température adéquate, le taux d’humidité aussi… jusqu’à ce qu’un orage aussi brutal que ravageur éclate ! Une pluie diluvienne s’abat sur nous, nous trempant jusqu’à l’os et nous imposant de passer la soirée à organiser le séchage de notre maigre garde-robe. Le jour suivant, nous n’échappons pas non plus à l’épisode orageux mais nous avons le temps de nous réfugier dans une grange où nous passons une bonne partie de l’après-midi à étudier le mouvement des nuages. Après les torrents de pluie, la route luisante à travers la campagne, éclairée du soleil rasant est magnifique. Il faut bien trouver un bon côté à tant d’eau…
Entre les villages, la campagne reste la même : plate et peu habitée. On remarque désormais que chaque maison a son puits et beaucoup on une croix immense surplombée d’un Jésus minuscule. Poussés par cette pieuse atmosphère, on pédale vaillamment jusqu’à la Colline aux croix en passant du mieux qu’on peut entre les gouttes. Des milliers de croix sont plantées sur d’autres milliers de croix, grandes, petites, artisanales, dédicacées, sobres ou lourdement décorées. On en trouve de tous les pays, toutes les corporations, toutes les époques. L’endroit est fascinant, tout athées que nous sommes ! Peut-être aussi que nous sommes touchés parce que c’est le premier lieu remarquable que nous croisons depuis une semaine et parce qu’il s’est enfin arrêté de pleuvoir. Nous nourrissons même l’espoir fou de pouvoir faire sécher nos affaires, c’est pour dire !
Tout à côté de la colline, on pose notre tente sur le terrain d’une auberge où on peut profiter du sauna dans la cabane au milieu du jardin. Pour se rafraichir, on peut sauter dans l’étang, pour ne pas avoir trop chaud à la tête, des bonnets en laine bouillie sont à disposition et pour varier les plaisirs, un gros bac d’eau chauffée au feu de bois nous attend. Les cèpes cueillis dans la journée cuisinés après le sauna nous font presque oublier nos déboires climatiques.
Ils ne nous font pas oublier tout de même que la pluie est encore prévue pour les jours à venir et on tente d’y échapper en prenant le train jusqu’à Plunge où on espère trouver des cieux plus cléments. Mais c’est peine perdue… Résignés, on pédale sous la pluie jusqu’à Ploskine pour visiter, au beau milieu du parc nationale de Zelimatja, les vestiges des silos pour missiles nucléaires soviétiques. Étrange trace du passé… En chemin, nous ramassons pléthore de girolles et myrtilles et savourons probablement la seule route du monde où la partie pour les voitures est un chemin sablonneux et celle pour les vélos, une magnifique piste cyclable asphaltée !
Les sentiers au cœur du parc national sont paisibles et agréables. Humides aussi mais la perspective d’une douche chaude nous console. Dans le camping que nous finissons par nous poser, on nous montre un bel emplacement, un vieux chiotte à la turque et un puits. Rien de plus. Nous avions déjà renoncé à trois autres campings pour absence de douche et au 4ème, on se dit que notre quête est probablement vaine. A quoi bon vouloir une douche, nous fait-on comprendre, puisque le lac est si proche ! Tant pis pour la douche chaude !
Les deux jours suivants, nous pédalons vite et fort malgré le vent et les averses éparses pour rejoindre la côte. A Vente, un ferry nous mène à Nida, sur l’isthme de Courlande, où tous les touristes du pays semblent s’être regroupés pour manger des glaces ou acheter des colliers d’ambre. Après une semaine sur les routes désertes de campagne, le retour à la civilisation est un peu brutal ! Mais le village de Nida est magnifique avec ses maisons de bois rouges et bleues, on comprend aisément que les touristes s’y attroupent !
La frontière russe de l’enclave de Kaliningrad n’est qu’à quelques kilomètres et même si nous avons renoncé à obtenir un visa, nous décidons d’aller y faire un tour pour voir à quoi ressemblent ces intransigeants douaniers. Pas grand chose à voir finalement, beaucoup de barrières et de panneaux en russe mais rien de très folklorique, à notre plus grande déception.
Pour rejoindre Kleipeda, une magnifique piste cyclable traverse l’isthme de Courlande de haut en bas. Elle serpente entre dunes et pins, marchands de glace et fumeries de poissons. On photographie les plages venteuses, on teste le calamar fumé et on pédale gaiment parmi les cyclistes du dimanche. La belle piste cyclable se prolonge jusqu’à la frontière lettone en passant par Palanga, horrible repère à touristes qui n’est fait que de magasins de souvenirs à base d’ambre, d’activités de fête foraine et de vendeurs de sucreries diverses. Même la grande plage de sable blanc ne trouve pas grâce à nos yeux. C’est sur cette triste image de tourisme effréné que nous quittons la Lituanie, pédalant tant bien que mal entre les gouttes bien décidées à nous suivre…