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Danube

Le Danube

Après être partie beaucoup seule, pas mal à deux et un peu à trois, nous voilà sur les routes à quatre en ce mois d’aout 2021. Alma a 3 ans, elle a déjà validé sa première étoile de cyclotourisme lors d’une virée de deux semaines dans les vallées du sud de l’Autriche il y a deux ans. Léna a dix mois et nous avons pédalé en famille au printemps sur la Vélodyssée, ce qui nous a permis de nous rendre compte que partir avec deux enfants, c’est bien plus que deux fois plus compliqué qu’avec un seul… Mais on aime assez nos filles et le cyclotourisme pour faire l’effort de les rendre compatibles !

L’objectif est d’arriver à Vienne en descendant le Danube et on commence notre route à Vohburg-an-der-Donau, à un peu plus de 600 km du but. On laisse la voiture à proximité de la gare et on s’installe sur la petite aire de camping gratuite parfaite mise à disposition par la ville. Pour se mettre d’emblée dans l’ambiance météorologique des jours à venir, on essuie un énorme orage dès le premier soir. Les filles cabriolent dans la tente en mode château gonflable au rythme des coups de tonnerre pendant que le repas chauffe dans l’auvent. Pour l’instant, la tente est étanche et tout va bien !

Le matin du deuxième jour, on s’amuse à expliquer à Alma qu’on va à Regensburg, la ville de la pluie. On s’amuse beaucoup moins quand on s’y retrouve effectivement sous la pluie alors qu’on s’était imaginé pouvoir visiter un peu la ville et manger en terrasse… Changement de plan : on sort la carte pour voir où pourrait être la prochaine étape, et on se rend compte que le camping le plus proche est à 60 km. Tant pis, on se lavera ce soir à l’eau froide ! On enfile donc nos kways et on installe les filles sous la bâche de la charrette le temps de leur sieste, puis on pédale le long du fleuve jusqu’à ce que le ciel s’éclaircisse et qu’on puisse chercher un coin de bivouac. En demandant à quelques villageois, on trouve un bel endroit sur les bords du fleuve. Envahi de limaces et de moustiques, certes, mais bien mieux que ne l’aurait été n’importe quel camping pour profiter du coucher de soleil sur le Danube.

Le lendemain, on joue la prudence et on réserve dès le matin une place pour notre tente dans un camping à la ferme. En début d’après-midi, un message sur le répondeur : cas de force majeure, le camping ne sera pas accessible ! Ce soir-là, on tombe sur le responsable du club de foot de Pfelling qui nous prête son stade pour la nuit et on y est comme des coqs en pâte ! On avait décidé de renoncer au plaisir du camping sauvage pour épargner la douche fraiche et le potentiel inconfort à nos petites mais on est finalement bien contents d’y être contraints et on a l’impression de retrouver un peu de notre jeunesse et de notre liberté d’antan en faisant la vaisselle au robinet du cimetière et la toilette au bidon du vélo !

Les inondations du printemps ont parfois abîmé les berges du fleuve mais on suit toujours un itinéraire bien balisé sur des pistes cyclables agréables et sécurisées et les kilomètres s’enchainent facilement. D’autant que les filles adorent être promenées en charrette et qu’on apprécie particulièrement ces moments sur les vélos, pendant lesquels on peut discuter entre adultes, sans surveiller d’un œil Alma qui ramasse des cailloux et de l’autre Léna qui goute des limaces ! Alors on pédale…

On pensait rouler une ou deux heures le matin, un peu plus l’après-midi pendant la sieste, pour faire une cinquantaine de kilomètres par jour et pouvoir être posés à l’heure du goûter, histoire de profiter avec les filles de la vie en plein air. Dans les faits, on compose chaque jour en fonction des heures de réveil, de la météo, de l’intérêt du parcours, des imprévus du chemin… et on est rarement satisfaits du résultat ! Léna se réveille toujours très tôt et devient vite grognon, ce qui nous impose d’être réactifs et efficaces pour qu’elle puisse faire la sieste dans la charrette. Alma, elle, est toujours difficile à arracher au sommeil et émerge vraiment au moment où on part. Par chance, elle pourrait écouter les histoires de sa radio pendant des heures et chaque village abrite une belle aire de jeux – on pourrait presque en publier un guide tellement on en a fréquentées ! Mais on peine à satisfaire les besoins de repos de chacun – surtout les nôtres – et on a l’impression de devoir toujours gérer trois choses à la fois et d’en perdre ce qui nous plait tant à vélo : ne plus se soucier du temps qui passe et profiter de l’instant…

La météo est changeante et le ciel souvent menaçant. Par chance, c’est la nuit que les orages éclatent mais au matin, les sols sont détrempés et le fond de la tente souvent humide. Un matin, les limaces et leurs traces baveuses lézardent la chambre, elles se sont attaquées au sac mal fermé de nourriture et on en retrouve même dans les sacoches… Mais il en faudrait plus pour arrêter Léna qu’on emballe dans sa combinaison de ski achetée la veille et qui s’empresse d’aller les saluer sur ses quatre pattes dès les premiers rayons de soleil. Je sors tout de même mon carnet et commence ma liste complémentaire de matériel de voyage par « anti-limaces ». Le lendemain, je le ressors pour ajouter « vis de selle » après la rupture nette de celle de Miha. Evidemment, on promène avec nous un certain nombre de boulons et écrous, mais pas cette pièce-là, que nous n’avons d’ailleurs jamais imaginé pouvoir casser ! Et un vélo sans selle, c’est quand même pas simple à piloter !

A Passau, il pleut toujours mais la ville et le camping que j’ai déjà fréquentés plusieurs fois ont toujours autant de charme et on décide d’y faire notre premier jour de pause. J’en profite pour passer la soirée dans le train et ramener la voiture qui nous attendra plus près du but pendant notre deuxième semaine de périple.

A partir de là, la vallée se resserre et les paysages sont nettement plus beaux, peut-être aussi que le ciel bleu nous les fait d’autant plus apprécier. On doit souvent prendre le bateau pour passer d’une rive à l’autre ce qui plait bien aux filles… et à nous aussi ! Depuis que nous sommes en Autriche, les cyclistes sont bien plus nombreux même si l’année est particulièrement calme, nous dit-on. Le pass sanitaire qu’on nous demande partout a sûrement refroidit pas mal de voyageurs étrangers et la météo a peut-être achevé les indécis !

Dans un lacet du fleuve un peu avant Linz, on découvre le paradis ! Une petite ferme auberge où résonnent le chant du coq et les babillements d’enfants, où nous attendent des grandes tablées de bois sur lesquelles on sert les produits locaux et un champ de fruitiers parmi lesquels on peut poser notre tente, seuls sur l’herbe tendre… Voilà le genre d’endroit qu’on s’imaginait pouvoir trouver et où on décide spontanément qu’on restera le lendemain aussi. Chacun y trouve son bonheur : on sirote un jus de sureau à l’ombre d’un pommier, Léna mange du sable, Alma sautille entre balançoire, tracteur et toboggan… Elle s’y fait une amie, à qui elle voudrait bien montrer sa tente mais la communication n’est pas facile. On lui explique qu’il faudrait qu’elle lui propose en allemand pour être comprise. Sans se démonter, Alma retourne alors la voir et lui demande en souriant : « Tu viens voir ma tente, en allemand ?! »

Puis on reprend la route sous un ciel menaçant jusqu’au camping d’Ottensheim qui est d’un glauque exemplaire. La pluie qui tombe à seaux n’arrange rien au cadre. Par chance, une vieille construction de bric et de broc permet de s’abriter mais la tente est déjà humide de la veille, Alma est surexcitée, Léna morose mais on lui pardonne : la pharmacie dans laquelle on vient de montrer ses trop nombreux boutons de moustiques nous a dit qu’ils ressemblaient méchamment à ceux de la varicelle ! La pluie tombe, on tue le temps comme on peut… et on finit par déménager notre tente trop grande sous cet abri trop étroit : le sol est dur et le décor triste à pleurer mais on est au sec ! Alors qu’on bataille à endormir la marmaille, une frontale dégoulinante frappe à la porte. Un couple de français en route pour plusieurs mois avec les vélos couchés cherche aussi refuge et posent leurs mousses à côté de notre campement de fortune. On partage conseils et expériences avant de reprendre la route chacun de son côté.

Au matin, il pleut toujours mais on a repris des forces. Pour échapper aux kilomètres de zone industrielle qui précèdent Linz, on emprunte le Donaubus, un petit bateau rapide qui nous fait parcourir une dizaine de kilomètres avant de nous déposer au centre de la ville, histoire de faire un tour dans la belle cathédrale et de gouter à la Linzertorte. Et puis d’averse en aire de jeux et de traversier en réveil trop matinal, on arrive jusqu’à Vienne et on y mange une énorme glace, celle dont on avait rêvé depuis plus de deux semaines mais qui est tellement meilleure sous le soleil. On est fatigués mais satisfaits.

De retour à la maison, on monte la tente dans le jardin pour la nettoyer et la réimperméabiliser. Léna s’empresse de l’investir pour réviser ses cabrioles et Alma nous demande avec des étoiles dans les yeux quand est-ce qu’on va repartir en vacances pour dormir dedans. La relève est assurée !