Carnet de route

Clap de fin

On passe la frontière française le 15 aout et tout nous semble terriblement mort… On traverse quelques villages ardennais sans trouver l’ombre d’un café ou d’une boulangerie ouvert et on se contente des mûres des bords de chemin et de l’eau de la fontaine pour le gouter. La voie verte qui permet de passer les Ardennes est tout de même très belle et permet surtout d’éviter totalement le dénivelé. On roule au bord de l’eau et entourés de forêts et de collines, il fait beau et pas encore trop chaud, la météo dont on rêvait depuis bien longtemps… On sent désormais que la fin du voyage approche et comme le cheval qui a senti l’écurie, on pédale plus vite et les étapes sont un peu plus longues. Le soir, on enchaine les campings miteux, presque glauques mais au moins, on peut se doucher.

On arrive à Charleville-Mézières en fin d’après-midi et c’est un enchantement inattendu. La place ducale est ensoleillée, couverte de terrasses de bar, de sable et de vacanciers souriants. Elle nous fait penser à la place des Vosges et à notre fameuse place Stanislas et elle nous donne surtout envie de boire un apéro ! Les filles, elles, sont plus intéressées par le beau carrousel et le sable tiède. En tout cas, on profite et on ne se décide à se diriger vers le camping tout proche, juste derrière le musée Rimbaud, qu’en début de soirée. Manque de bol, on se pointe à Charleville-Mézières le même jour que Damso et Juliette Armanet et le camping est apparemment complet. En discutant un peu, il se pourrait qu’on nous trouve une place mais il faut d’abord que j’aille faire l’inventaire des emplacements encore disponibles avec un plan des lieux. On finit tout de même par s’y installer et par s’y endormir, bercés par le son lointain du festival du Cabaret vert.

Le lendemain matin, on goute la tarte au sucre locale au petit déjeuner et on reprend la route le long de la Meuse. La voie verte continue encore quelques kilomètres puis on se retrouve sur des petites routes, toujours agréables mais beaucoup moins plates ! On traverse des minuscules villages-rues, parfois assez mignons, parfois carrément déprimants, dans tous les cas sans vie et sans commerces. Le soleil s’est imposé et il commence à faire bien chaud au moment où on ne croise plus aucun glacier… mauvais timing…

Sur la carte, on a repéré une ferme qui vend du fromage et où on devrait pouvoir passer la nuit. Ce qu’on n’avait pas repéré par contre, c’est qu’elle est perchée en haut d’une colline et que le chemin pour y mener est caillouteux et chaotique. Mais les paysages sont beaux quand on prend de la hauteur et la ferme est parfaite pour une nuit : on y trouve une vue qu’on a bien méritée, une douche qu’on n’espérait même pas, un paon qui pavane et tout un tas d’autres animaux. Désormais, on voit le soleil se coucher et de là-haut, c’est très beau…

Le matin, on redescend de la colline avec pour mission de dévaliser une boulangerie avant le pique-nique. Depuis quatre jours que nous sommes en France, nous n’en avons toujours pas croisé et je commence à m’impatienter ! Quelques kilomètres plus loin, un petit panneau devant une maison indique qu’on peut y acheter du pain et effectivement, un four fume dans le jardin. On s’arrête et on nous accueille à bras ouverts : la boulangère et son mari sont cyclotouristes et membres du réseau Warmshower ! Le pain n’est pas encore tout à fait cuit mais ça laisse le temps de boire le jus de pommes de la maison en discutant et d’observer la boulangère à l’œuvre. Puis on repart joyeusement sous un soleil brûlant avec du bon pain tout chaud et un plan pour se baigner un peu plus loin dans la Meuse. La couleur de l’eau et la quantité d’algues ne donnent pas franchement envie de plonger mais pour se rafraichir, c’est mieux que rien…

Le jour suivant, on arrive à Verdun avec l’idée de manger dans un restaurant, même s’il ne pleut pas ! Le long de la Meuse, les terrasses sont pleines et animées mais on a oublié qu’en France, même un samedi, on ne sert plus à partir de 13h30 et on ne trouve finalement qu’une pizzeria qui veut bien nous nourrir. Il fait très chaud et l’orage menace quand on reprend la route mais on évite l’averse en s’abritant le temps des courses. Faut dire qu’on est devenu experts en slalom entre les gouttes.

On pédale jusqu’à Villers-sur-Meuse où on trouve par hasard un adorable camping, tellement charmant qu’on se croirait aux Pays-Bas et d’ailleurs, la majorité des campeurs sont hollandais. On profite du trampoline, de la boite à livres, des boissons fraiches, du babyfoot, de la salle de bain pour enfants et surtout de la petite plage qui nous permet de faire des ricochets et de nous tremper dans la Meuse. L’endroit est parfait pour une dernière nuit en camping. On se dit même que si on n’était pas si près du but, on serait bien restés un jour de plus ici mais Alma compte les jours et attend le retour avec de plus en plus d’impatience.

On se baigne avant de prendre la route le matin pour prendre quelques réserves de fraicheur et on pédale jusqu’à Commercy sous un soleil de plomb. On n’a pas adoré se faire arroser pendant plusieurs mois mais on se rend compte que la chaleur est peut-être encore plus compliquée à gérer que l’humidité quand on dort sous la tente et qu’on ne se lève pas aux aurores, qu’on n’a pas de frigo, de douche ni de robinet à portée de main. On se rend compte qu’on consomme autant de crème solaire en une semaine que dans les deux mois qui ont précédé et on se félicite d’avoir choisi les routes scandinaves plutôt qu’andalouses…

A Commercy, on achète bien sûr quelques madeleines puis on se met en quête d’un dernier coin de bivouac à proximité de l’eau. On trouve une prairie parfaite à côté d’un village et on y savoure notre dernière installation de tente et notre dernière nuit sous le ciel étoilé.

Le lendemain, il faut encore grimper sous le soleil pour passer de la vallée de la Meuse à celle de la Moselle qu’on retrouve à Toul. On connait bien cette voie verte qui fait le tour de Nancy le long de la Moselle et on pédale vite et fort jusqu’à Maron où ma collègue Marie, nous accueille pour notre dernière étape. Le lycée me semble bien loin et pourtant, en discutant, j’ai l’impression de l’avoir quitté hier. Un autre collègue nous rejoint et on passe une douce soirée sous les étoiles qui nous fait presque oublier tout ce chemin parcouru.

Le matin, Marie et son joli ventre rond nous accompagnent le long de la rivière pour nos derniers coups de pédale. Symboliquement, on décide de passer par l’incontournable place Stanislas, éblouissante de chaleur et de lumière. Sous la statue du gros Stanislas, Léna se réveille de sa sieste, Alma sautille de joie et nous on savoure notre bonheur d’être allés si loin ensemble et d’en être revenus, pleins d’usage et raison… Il y a dix ans jour pour jour, on se rencontrait et on buvait coup sur cette place. Même dans nos rêves les plus fous, nous n’aurions sûrement pas imaginé se retrouver ici si heureux, après 6376 kilomètres avec nos filles et nos vélos…

Cécile et Michael, qui ont habité notre maison pendant notre absence, sont là aussi et ils nous invitent au restaurant. Un repas ne suffit pas à se raconter tout ce qu’on a manqué ces derniers mois mais c’est déjà une belle introduction aux retrouvailles. En pédalant jusqu’à chez nous, on passe devant chez Marie-Laure, la nounou adorée des filles, et on ne résiste pas à l’envie d’aller sonner chez elle. Léna ne reconnait pas les lieux de suite mais reprend bien vite ses marques et ne comprend pas pourquoi elle doit ensuite repartir avec nous. C’est une belle manière de revenir chez nous par étapes, en retrouvant petit à petit ceux qui nous ont manqué…

La maison semble nous attendre aussi et on tourne la clé dans la serrure lentement, de crainte que tout ce que nous avons vécu s’évapore une fois les vélos garés et les sacoches vidées. Dans quelques jours, l’esprit sera sûrement assez clair et posé pour écrire l’épilogue de ce voyage… ou le prologue des suivants…

2 Comments

  • Sylvie

    Bonjour à vous

    Merci pour ce partage d’une aventure qui m’a fait rêver et voire même motivée à partir « loin » des que la retraite sera là !

    Un très beau voyage et une belle plume !

    Au plaisir de se voir

    Sylvie (de Charente maritime, étape avant Meschers )

    • Jeanne

      Merci Sylvie ! Et merci pour la recette du ghee, on en a trimballé de Meschers à Nancy… avec quelques petits détours 😉 Tant que ce n’est pas en Angleterre, on ne peut que vous conseiller de partir… loin ou pas… Nous on attendra pas la retraite pour repartir et peut-être que nos chemins se croiseront à nouveau 🙂