April doet wat hij wil*
« Avril fait ce qu’il veut ». C’est ce que nous dit notre voisine au camping de Vlieland après une nuit où il a encore gelé. Et cette année, avril semble ne décidément pas vouloir entrer dans le printemps…
A Texel, le vent ne faiblit pas mais il finit par pousser les nuages et on pédale vers le nord de l’île en longeant la côte. D’un côté une mer bleu foncé, de l’autre les pâturages verts mouchetés de moutons, on dirait presque le tableau aux couleurs trop franches d’un peintre naïf. Le vent de côté nous bouscule et nous glace, on ose à peine sortir les mains des gants pour prendre quelques photos de ces si beaux paysages.
Le bateau pour Vlieland part du nord-est de l’île et tout y est comme dans mon souvenir. On pousse les vélos sur la plage de sable fin pour atteindre le frêle ponton de bois sur lequel la charrette passe à peine. Dix ans plus tard, Miha me prend en photo au même endroit avec le même vélo qui m’y a amenée. Quelques degrés en moins, quelques rides en plus. Et une si belle famille en plus, surtout ! Il s’est passé tant de choses pendant ces dix années et j’ai pourtant l’impression que ce n’est pas si loin. Revenir ici tous les quatre faisait partie de mes projets pour ce voyage et nous y voilà ensemble…
Le vent fait remuer le bateau, Alma rêve déjà de tempête et de canot de sauvetage ! Dans le ciel, les nuages s’assombrissent et s’alourdissent jusqu’à l’orage qui nous offre un magnifique arc-en-ciel aussi bien dessiné et coloré que sur un dessin d’enfant. Au même moment, on approche de la plage et on aperçoit un phoque qui se trémousse pour regagner l’eau. Tout ce dont j’avais parlé aux filles pour les faire rêver est là. Carton plein ! Sur le bateau qui nous ramènera ensuite sur le continent, une dame nous montrera les vidéos des bébés phoques qui naissent ici par milliers et qu’elle observe et compte tous les ans.
Le débarquement sur la plage est un peu épique parce qu’il ne se fait désormais plus sur un pont mais à même la plage et il faut donc faire passer les vélos par un étroit escalier métallique déplié pour l’occasion. Tous les passagers sont aussi cyclistes et nous aident gentiment. On s’occupe spontanément des filles, de la charrette, des sacoches qu’il a fallu détacher et nous voilà embarqués dans le 4×4 pour la traversée du désert. Là encore, la pluie sévit mais on est à l’abri et on trouve que ça ajoute un certain charme. En tout cas, ça n’enlève rien à la beauté de ces immensités de sable et de vagues…
Arrivés à Vlieland, on pédale quelques kilomètres jusqu’à un camping Nature qui est effectivement un champ immense en lisière de forêt avec seulement quelques tentes et un grand tas de sable au milieu. Et des sanitaires chauffés, le bonheur ! Après une fouille sérieuse des sacoches, je me résigne à déclarer perdu mon porte-feuille, probablement resté sur l’île de Texel, victime des nombreux trafics de vêtements et d’affaires mouillés. Etonnamment, ça ne m’affole pas du tout et je mets d’ailleurs 5 jours à faire opposition à ma carte ! Je me demande si ce grand détachement est plutôt le signe positif d’un éloignement des bassesses matérielles ou la preuve que le couple signe inévitablement une perte d’autonomie que j’ai admise. De toute façon, j’avais déjà perdu ma carte vitale, je n’ai pas besoin de mon permis de conduire et on a un compte commun donc la carte de Miha fera très bien l’affaire. C’est presque une libération finalement !
Les filles se font rapidement des copains de bac à sable et on discute avec les deux mamans qui trouvent elles aussi qu’il fait bien trop froid pour un mois d’avril mais le justifient en disant qu’ « april doet wat hij wil » ! Les serviettes que je lave le soir gèlent et le thermomètre nous indique au matin une température négative. On décide quand même de rester une journée sur cette île sans voiture dont on fait le tour en tandem sur les belles pistes cyclables au milieu des dunes. Dans la boulangerie où on s’arrête pour boire un café au chaud, on goute le gâteau traditionnel du jour du roi : un genre de mille-feuilles recouvert de glaçage orange et affublé d’un drapeau ou d’une couronne. Le lendemain matin, jour officiel de la fête du roi, nos voisins de camping nous en offrent pour le petit déjeuner. Avec la tête de Léna, on nous prenait déjà pour des Néerlandais mais là, on se sent carrément du pays !
Le 27 avril, c’est l’anniversaire de Wilhelm-Alexander et ça se célèbre à coup de garde-robe orange, de brocante dans les rues et de drapeaux en berne sur toutes les maisons. On nous dit que ça vaut le coup d’être dans une ville ce jour-là alors on quitte l’île et on arrive en ferry à Harlingen en début d’après-midi pour profiter un peu de cette atmosphère de fête. Pour les filles, c’est pas facile de voir tant de jouets à vendre et de n’en acheter aucun… On s’en sort pas trop mal avec seulement deux sirènes en playmobil de plus dans leur collection et on saisit l’occasion pour gouter au kibbeling, le traditionnel cabillaud frit que Léna dévore goulument. Alma repart un peu déçue que le roi ne soit pas là pour son anniversaire…quelle ingratitude…
Depuis quelques jours, on cherche à dormir en dur mais pas moyen. Les warmshower à qui on écrit ne répondent pas ou ne sont pas disponibles et on ne trouve rien à louer pour une nuit. Les locations ont l’air plus rares ici, on est plus esprit caravane, et elles se font plutôt à la semaine. Et puis on est en pleines vacances scolaires et pont de la fête nationale donc on tombe vraiment mal. Alors je continue à rêver de sèche-cheveux et on continue à enfiler nos chaussettes froides et moites le matin… Faute de mieux, on trouve un camping dans lequel il y a un abri et on peut effectivement y cuisiner et y manger. Certes, ce n’est pas chauffé et on ne peut y faire ni lessive ni shampoing mais il y a quelques jeux pour occuper les filles et de quoi ne pas être coincés sous la tente et sous la pluie qui devrait sévir sévèrement.
Finalement, la nuit est bien moins pluvieuse que les prévisions ne l’annonçaient et il ne pleut même pas au réveil. On hésite tout de même à partir parce qu’une journée de flotte était annoncée mais comme rien ne tombe, on finit par prendre la route. Evidemment, il commence à pleuvoir cinq minutes après notre départ ! On fait 20 kilomètres le nez dans le guidon pour trouver de quoi se réfugier à Dokkum. On est trempés et un peu dépités. Pour se consoler et sécher un peu, on s’arrête dans une brasserie où on peut manger de la soupe à la moutarde – pas du tout indispensable à la gastronomie mais on s’était dit qu’il fallait quand même gouter ! – et où les filles trouvent par bonheur de quoi jouer une bonne partie de l’après-midi.
On se dit qu’on a bien de la chance qu’elles soient si simples à occuper et si adaptables aux circonstances. Bien de la chance aussi que personne ne soit malade avec tant de froid et d’humidité. Léna a même sorti ses deux dernières dents sans qu’on s’en rende compte… nous qui avions mis sur le compte des 18 précédentes, chacun de ses rhumes, pertes d’appétit, réveils inopinés, sautes d’humeur… !
Finalement, à 17h, après plusieurs heures à scruter fiévreusement les prévisions météo, on peut quitter notre bar et reprendre la route. Les filles s’endorment dans la charrette et on pédale jusqu’à un camping où on espère pouvoir trouver de quoi faire sécher ce qui doit encore l’être. Il est parfaitement charmant mais impossible d’y faire sécher quoi que ce soit. Vu l’état des sols, on se dit qu’en plus d’être mouillés, on ne va pas tarder à être boueux. Alma qui se réveille est un peu triste qu’on se retrouve ici et nous un peu désabusés de n’avoir pas mieux à leur proposer.
Et puis un enfant passe avec un paquet de chamallows, un autre avec des pop corn, un autre avec un tricycle et petit à petit, une nuée d’enfants vient investir l’aire de jeux et l’abri à côté duquel on s’est installé. Alma s’entiche d’un grand gaillard de 11 ans au niveau d’anglais impressionnant qui la promène sur un tricycle, Léna ne lâche pas de la soirée la draisienne pour laquelle elle s’est découvert une passion soudaine. Au coin du feu, les enfants font griller des chamallows et les parents discutent. Alma s’étonne que tous les enfants soient blonds. C’est vrai qu’elles font beaucoup plus couleur locale ici qu’en France ! Nous on ne comprend pas grand-chose à ce qui se dit mais c’est chouette d’être là. Alma a oublié ses malheurs, la boue ne lui fait même plus peur et elle s’étale dedans de tout son long. Léna s’y traine consciencieusement. Et nous on se dit qu’on va ériger un autel au fabricant de combinaisons en attendant le lendemain où la rumeur dit qu’il devrait faire un temps printanier…
A l’heure du coucher, l’odeur du feu de bois couvre les senteurs de chaussettes moites et de transpiration recyclée… Demain, tout ira bien !
Et effectivement, il y a du soleil au matin ! On installe un stand de séchage sur nos vélos et on laisse les filles profiter du trampoline et de la draisienne avant de reprendre la route vers l’est. On a beau se peler depuis pas mal de temps, on est quand même bien aux Pays-Bas et on n’est pas pressés d’en partir alors on décide de trainer un peu avant de passer en Allemagne. On apprécie surtout les campings Nature qui sont toujours des beaux endroits calmes et accueillants.
A midi, on pique-nique au soleil au bord d’un canal et on savoure l’instant. Depuis qu’on est là, on a toujours dormi dehors et les températures ont rarement dépassé les 10 degrés en journée, avec souvent du vent, et elles ont toujours tourné autour de 0 la nuit. On n’a pas toujours froid mais on a quand même l’impression qu’on n’est jamais vraiment réchauffés. Alors une journée de soleil, même sans enlever la polaire, c’est le bonheur ! Tout devient soudain plus simple et plus agréable : ranger la tente, habiller les filles, pique-niquer… Je suis désormais bien détachée de ma carte bleue mais pas encore de la météo ! Alma nous demande quelle langue parle le soleil, lorsqu’il discute avec la lune et on se dit qu’on doit vraiment beaucoup parler de météo pour qu’elle en vienne à se poser ce genre de questions !
On décide de s’arrêter à Groningen, dernière vraie ville avant la frontière, mais on y arrive un samedi après-midi ensoleillé de marché et de vacances et la jolie promenade entre les canaux qu’on imaginait est un bain de foule dont on s’échappe rapidement.
Ce qui est bien plus chouette, c’est le camping où on arrive le soir. Nous n’y sommes qu’à trois familles et les deux autres sont autour du feu à faire griller des chamallows au son du ukulélé quand on débarque. Les filles s’y font directement des copains et on passe la soirée à discuter et à essayer de comprendre le néerlandais d’une partie de loup garou ! Alma et Katelijn se courent après en rigolant et semblent ne pas avoir besoin de se parler pour bien s’amuser ensemble !
Comme le 1 mai est férié en Allemagne mais pas aux Pays-Bas – il parait qu’ils ont une relation tellement saine au travail qu’ils n’ont pas besoin de le célébrer en n’y allant pas ! – on s’arrête faire des courses juste avant la frontière. Le magasin est un repère effrayant d’Allemands obèses venus profiter de ce jour pour acheter des pleins chariots de beignets, fricadelles et autres fritures néerlandaises et ça nous coupe net l’envie de passer la frontière ! On ressort donc notre carte pour changer un peu notre itinéraire et savourer encore les Pays-Bas pendant quelques kilomètres.
En ce 1 mai, deux mois pile après le début de notre voyage, nous pique-niquons à la frontière et nous attaquons le quatrième pays de notre voyage… Et en mai, on est persuadés que la météo nous laissera faire ce qu’il nous plait ! 🙂