D’une côte à l’autre
Après quelques jours dans le sud et dans l’ouest du pays, mes parents nous retrouvent avec leur van et nous décidons de leur laisser les filles deux jours pour faire deux grandes étapes et rejoindre la côte ouest. Et puis aussi pour être un peu juste tous les deux, ça fait bien longtemps que ça ne nous est pas arrivé ! D’ailleurs, c’est la première fois que nous laissons les filles une nuit et tout le monde s’en réjouit.
De leur côté, ils se baignent, se baladent en forêt, jouent à la marchande, font des siestes tous ensemble… Du nôtre, on pédale et on discute. Et on profite du calme. Le soir au shelter, on est presque désoeuvrés et troublés par le silence. On se demande ce qu’on faisait avant les filles, comment c’était possible de manquer de temps à l’époque ! Le matin, on part bien plus tôt que d’habitude et on fait plus de 80 kilomètres sans forcer. On traverse des champs de blé et de camomille, des tourbières et des forêts. A quelques jours de notre mariage, on fait un détour par le fjord de Mariager pour s’amuser à prendre des photos devant le panneau. Le vent est doux, le soleil nous dore. Ce jour-là, le bébé d’une amie est né et je souris en pédalant. Et puis dans l’après-midi, j’apprends le dramatique accident de vélo d’une autre amie. Alors on pédale encore plus fort pour extérioriser toutes ces émotions et d’une certaine manière pour elle, sur son lit d’hôpital, à qui on pense si fort…
Le soir, on retrouve les filles et mes parents pour le repas. Comme souvent, le shelter dans lequel nous comptions dormir n’est pas accessible en voiture alors eux restent en lisière de forêt pendant que nous allons combattre les moustiques. L’endroit est magnifique : une petite clairière au milieu des bois avec un wagon plein de livres d’or, trois shelters, un point d’eau, du feu et même une fendeuse à bûches… et des nuages de moustiques qui n’attendent que nous ! On réussit tant bien que mal à fermer notre abri avec des serviettes de toilette et on s’endort au son des aboiements de chevreuils.
Le lendemain, on retrouve la mer, du nord désormais. Les plages sont immenses et l’eau toujours aussi limpide mais un peu fraiche à notre gout. Les filles préfèrent clairement le camion de Papou et Mamou que la charrette de Papa et Maman alors on roule sans elles jusqu’au shelter le plus incroyable du pays dans le jardin d’un particulier : deux tonneaux où dormir dans un bosquet d’arbustes avec de la lumière et l’électricité, de quoi faire du feu, des toilettes et une douche chaude, un grand espace bien tondu et le fin du fin : un frigo naturel avec des bières et un mot «quand il n’y en a plus, demandez, il y en a encore! » Sur le plancher du tonneau, une petite trappe s’ouvre sur un puits duquel on peut remonter des bières fraiches. Et le tout gratuitement !
A notre arrivée, Evi, notre voisine de shelter, a déjà allumé le feu et s’applique à emballer ses pommes de terre dans du papier alu. Elle n’habite qu’à une trentaine de kilomètres mais elle est venue pour la nuit et son fils va la rejoindre dans la soirée. Un peu plus tard, Samuel arrive, installe sa tente et découvre avec le même enthousiasme le frigo à bière. Les filles sortent le cerf-volant, peignent avec Mamou, écossent les petits pois pendant qu’on prépare la grillade en s’extasiant sur la beauté du lieu et la générosité de celui qui le met à disposition.
Alors qu’on savoure notre repas, un petit avion se pose tout à côté et quelques minutes après, le propriétaire vient nous saluer. Et si l’avion était le sien ? Dès qu’on a fini de faire griller nos chamallows, on part explorer les alentours et on trouve effectivement une piste d’atterrissage privée mais aucune trace de l’avion. Bien sûr, on imagine tout un tas de scénarios et le généreux bricoleur de tonneaux devient soudain un riche pollueur qui veut payer moins d’impôts ou se racheter une conscience en mettant un morceau de son immense jardin à disposition.
En tout cas, on passe tous une très bonne soirée à regarder la brume tomber sur le ciel orangé et une fois les filles couchées, on discute jusque très tard en Allemand avec Samuel, le Suisse et Evi, Allemande mariée à un Danois, qui a plein de choses intéressantes à nous conseiller et à nous raconter sur le pays. Le matin, elle se lève à 7h pour allumer le feu : elle vient d’acheter une nouvelle poêle à barbecue et elle a promis des crêpes pour le petit déjeuner ! On est vraiment dans le shelter du bonheur !
On a des crêpes à la margarine à éliminer et on est tout proches du phare de Rubjerg, ça tombe bien ! Depuis que je l’avais vu en 2013, il a été déplacé de 70 mètres parce que l’érosion de la côte menaçait de le faire tomber dans la mer. Il trône donc au milieu des dunes de sable blanc. On y monte pour admirer le paysage alentour puis on fait des cascades de descente de dunes et on s’amuse tous comme des enfants. Il fait chaud, presque trop, mais marcher pieds nus dans le sable fin est délicieux.
Le soir, on se retrouve sur une immense plage déserte. Les dunes pour y accéder sont couvertes d’iris et de rosiers rugueux, à perte de vue, le sable s’étend. On pensait pouvoir dormir à proximité mais il n’est pas simple de trouver des endroits adaptés à la fois au camion et à la tente et ici, de toute façon, tout est interdit. Un peu plus loin dans la forêt, un petit parking permet à mes parents de rester pour la nuit et on cherche un endroit plat pour poser notre tente à proximité. Et c’est là, au milieu des arbres, que je croise le chef des Vikings ! Il porte une mignonne robe en toile, des longs cheveux filasses, des dents bien ébréchées et il a visiblement bien bu et bien fumé ! Je lui demande s’il y a moyen de camper dans le coin et il me propose de nous installer dans une des cabanes de leur village viking. On n’est pas totalement à l’aise mais malgré tout fascinés par toutes ces cabanes de bois, ces troncs sculptés, ces os décoratifs et ces quelques personnes autour d’un feu qui semblent sorties d’une autre époque. Le chef viking nous conseille la cabane des chasseurs, la meilleure nous dit-il, celle à l’entrée du village où on peut « fuck all night » ! C’est assez crado, plein de toiles d’araignées, de cendres et sûrement de plein d’autres trucs qu’on ne voit pas parce que c’est très sombre mais on pose nous tapis de sol sur les peaux de bêtes et on dort finalement pas si mal. Au matin, on fait un tour dans le village avec les filles et on essaie de répondre aux questions d’Alma sur ces fameux Vikings…
Il ne reste plus que quelques kilomètres et quelques jours avant Tversted où nous allons nous marier. Nous y avons loué un gîte pour pouvoir accueillir la mère de Miha et passer quelques jours ensemble mais je voudrais quand même retourner dormir dans ce fameux shelter à côté du moulin, cet endroit où j’étais venue seule à vélo il y a dix ans et où j’ai voulu qu’on se marie.
On passe la barre des 4000 km et on arrive à la plage quelques kilomètres avant dans l’après-midi, persuadés d’y trouver les habituelles immensités désertes de sable mais c’est la désillusion : déjà la plage est un immense parking bondé et en plus, il y a un mariage ! Et nous qui pensions être originaux… On se rassure en se disant que c’est un samedi après-midi ensoleillé et que notre plage est 10 km plus loin. N’empêche que les voitures sur la plage et les gens en maillot de bain assis au cul de la bagnole, ça nous fait tout bizarre. Mais puisque ça semble être une coutume locale, on s’y adapte en garant nos vélos sur le sable entre deux voitures pour aller se baigner. Les filles courent et sautent dans les vaguelettes et même si ça nous fait drôle de leur dire de regarder des deux côtés avant de traverser la plage, on passe quand même un bon moment à batifoler les pieds dans l’eau.
On mange ensuite dans un coin que mes parents ont trouvé pour passer la nuit dans le camion avec les filles puis on va jusqu’au moulin au soleil couchant. Depuis si longtemps que je lui en parlais avec des étoiles dans les yeux, Miha craignait qu’il ne soit pas à la hauteur du mythe que j’en avais construit mais il doit bien reconnaitre que l’endroit est exceptionnel. Comme nous le craignions, nous sommes samedi soir et un groupe de jeunes a bruyamment investi un shelter alors on plante la tente juste à côté du moulin et on va marcher dans les dunes jusqu’à la plage sous un ciel orangé. A minuit, il fait encore jour et les insupportables nuages de moucherons du soir ne sont toujours pas endormis ! Mais le paysage est tellement beau et le moment tellement émouvant qu’on les oublie presque.
Au matin, on amène les filles et mes parents découvrir les lieux, eux aussi en ont beaucoup entendu parler et eux aussi doivent bien reconnaitre que c’est un endroit magnifique. Dans le moulin, on cherche l’adorable cadeau que nous ont caché les Raccourcycles, la famille de cyclistes partis de Lourdes juste après nous et qu’on a rencontrée à Hambourg. Ils nous ont écrit un joli poème et nous souhaitent du vent dans le dos… un vrai voeu de cycliste à cycliste ! Sur la plage, les filles se baignent et on retrouve Marta, la témoin de Miha venue de Malmö.
Mardi, ce sera le jour le plus long de l’année et celui de notre mariage sur la plage de Skiveren…