Avec la mer du Nord…
On arrive en Allemagne un 1 mai ensoleillé et on n’est pas seuls sur les pistes cyclables. Les paysages sont assez similaires de l’autre côté de la frontière, des digues moutonneuses striées de canaux, et on sent pourtant qu’on n’est plus dans le même pays sans savoir dire précisément ce qui fait la différence.
Ce qui est sûr, c’est que la densité de campings a nettement diminué. Par contre, on trouve sur les bords des routes des distributeurs de produits de la ferme qui nous réjouissent. Au premier, on essaie en vain d’acheter un litre de lait frais mais la machine est apparemment vide, ce qui nous donne l’occasion d’une enthousiasmante discussion avec un couple de vieux bredouilles comme nous. On se dit que c’est sacrément chouette de parler allemand couramment et que c’était vraiment pas de notre faute si on n’arrivait pas à communiquer avec les Anglais.
Pour s’intégrer en douceur, on décide de commencer par aller au camping, le seul dans les environs auquel on arrive assez tard. On débarque dans un grand parking caravanier bien organisé autour de sanitaires vieillots, typiquement le genre de camping qui ne mérite pas d’être payé selon notre référentiel personnel. Et on le quitte donc au matin sans passer par la case réception.
Même avec du vent de face, on pédale vite et fort, motivés par la perspective du Airbnb que l’on a réservé à Wittmund. Après deux semaines bien fraiches et humides aux Pays-Bas, on rêvait d’une machine à laver, d’un séchoir à cheveux et d’une soirée sans doudoune ! Et chez Thomas et Renate, il y a tout ça et même beaucoup plus. On lave consciencieusement tous nos habits, on démêle les cheveux des filles, on cuisine des vrais légumes, on joue beaucoup, bien sûr. Tout ça sous la protection du beau moulin qui surplombe l’appartement. D’ailleurs, on est tellement bien qu’on se demande pourquoi on s’embête à pédaler et à dormir sous la tente ! Mais probablement qu’on savourerait bien moins le confort si on y goutait tous les jours. Et puis même si on ne se l’explique pas vraiment, ça nous plait carrément d’être sur les routes avec nos vélos…
En tout cas, on repart propres et enthousiastes de Wittmund et on pédale jusqu’à la côte où on découvre les digues moutonneuses dont j’avais un si doux souvenir. Une fois le petit portail passé, on pédale entre les brebis broutant et les agneaux bêlants avec la mer à l’horizon. On a beau avoir du vent de face, c’est un plaisir de pédaler ici. A peine le premier portail passé, Léna veut caresser les moutons et demande à descendre du vélo pour leur courir après, sans grand succès évidemment ! On la suit donc longuement en poussant nos vélos, attendris par son incompréhension devant ces agneaux qui ne veulent même pas se laisser caresser…
A Varel, on a reperé un petit port sur la carte et on suppose qu’on y trouvera de l’eau et de quoi poser la tente pour la nuit. Manque de bol, le coin sur lequel on comptait pour bivouaquer n’est pas accessible et le port fermé aux visiteurs. Miha passe tout de même une barrière pour aller demander de l’eau et des conseils à l’homme qu’on voit nettoyer son bateau. Il remplit nos bidons, réfléchit à quelques coins de camping dans les environs et nous met en garde contre les loups qui ont investi la région et rodent jusque dans les villages. On s’apprête à reprendre la route pour continuer notre quête quand Jan revient nous voir pour nous proposer de planter plutôt la tente dans son jardin, à quelques kilomètres du port.
On pédale donc jusqu’au numéro 13 de sa rue où on arrive un peu avant lui mais sa femme sera à la maison, nous a-t-il dit. Je sonne mais pas de réponse. Il y a pourtant une voiture garée et j’ai cru voir quelqu’un dans la maison. Je repense alors à cette fois, en Italie, où un pépère m’avait proposé de m’héberger et m’avait embarquée dans sa voiture. En chemin, il avait appelé sa femme qui lui avait fait une scène, lui avait interdit de me ramener et il m’avait donc laissée sur le bord de la route, de nuit et sous la pluie ! Il ne fait pas nuit et il ne pleut même pas mais on commence à douter un peu du plan. Et puis Jan arrive et nous fait des grands signes, il s’est juste trompé de numéro de maison en nous donnant son adresse ! Sa femme ne lui a pas fait de scène, elle est adorable et elle est française, sans que l’un soit la conséquence de l’autre. Finalement, plutôt que le jardin, ils nous proposent leur chambre d’amis et un bon plat de pâtes. Et ils nous rendent heureux ! Hendrik partage ses Légo avec les filles, Noémie leur présente son hamster et nous on discute avec Carole et Jan dans un mélange d’Allemand-Anglais-Français qui nous convient très bien.
Au matin, il pleut fort et on se réjouit d’autant plus de cette invitation improvisée. On reprend la route quand le ciel s’est apaisé et on retrouve avec plaisir digues et moutons. A l’heure du pique-nique, on trouve une table et du sable, de quoi contenter toute la famille. On discute un peu avec d’autres vacanciers puis chacun reprend sa route. Une quinzaine de kilomètres plus loin, une voiture s’arrête à notre niveau, la fenêtre s’ouvre et on les reconnait. Ils ont sillonné la campagne pour nous retrouver et nous rendre le couteau de Miha oublié sur la table. Quand on a si peu de choses avec soi, nous disent-ils, tout est indispensable ! On est bien contents de récupérer le couteau, encore plus de savoir qu’il existe encore des gens aussi adorables !
Comme la veille, on passe devant des champs de caravanes qui ne correspondent clairement pas à l’idée qu’on se fait du camping. D’ailleurs, beaucoup n’ont même pas d’emplacements pour les tentes. De la pluie est pourtant annoncée dès la fin d’après-midi puis pendant une bonne partie de la nuit et on se sent pas trop de bivouaquer dans ces conditions. Comme le camping de Nordenham ressemble beaucoup à ce qu’on veut éviter, Miha essaie de contacter le président d’un camping-club qui accepte qu’on passe la nuit dans leur camping. On ne sait pas trop où on va atterrir et on ne comprend pas vraiment le fonctionnement de ces clubs mais comme le président nous a chaleureusement répondu, on s’y pointe.
L’endroit est magnifique, face à l’estuaire, et le tout petit camping imbattable en terme de rapport qualité-prix. Tout le monde s’y connait et on a un peu l’impression d’être l’attraction du jour mais l’ambiance est sympathique. On nous installe à côté du club-house qu’on nous ouvre pour pouvoir manger à l’abri et la soirée de pluie passe comme une lettre à la poste.
A Blexen, on prend le ferry qui nous mène à Bremerhaven où nous n’avons pas prévu de nous arrêter mais on passe à côté d’un sous-marin de la seconde guerre et le cœur de Miha se laisse prendre… Alma trépigne, elle veut aussi rentrer dans le sous-marin et nous y voilà tous. C’est fascinant et effrayant de se dire que certains ont pu y vivre et y combattre…
Pour sortir de la ville, on traverse une interminable zone portuaire pleine de grues, de containers, de grillages et surtout de voitures neuves, alignées sur des kilomètres. On se dit tristement que le vélo a encore bien du chemin à parcourir pour détrôner la voiture…
Une fois la ville dépassée, on retrouve des digues telles qu’on les aime, avec un bon vent de face pour encore plus de plaisir ! Après le jaune des jonquilles anglaises et celui des tulipes hollandaises, nous voilà désormais au milieu des champs de colza. Et toujours des cerisiers en fleurs…
On pédale plein nord avec dans l’idée d’arriver à Berensch où on a repéré quelqu’un du réseau Welcome to my garden. Le problème, c’est que le quelqu’un ne répond pas et on se fait petit à petit à l’idée qu’il va falloir trouver un plan B. Après avoir un peu tourné dans un village puis dans le suivant, on se décide à se poser derrière la caserne des pompiers, c’est pas très glamour mais on se dit qu’au moins, on ne sera pas sur une propriété privée. Je vais quand même sonner chez les voisins qui peuvent nous voir pour les informer et ils n’ont pas l’air de cautionner vraiment notre plan. En discutant un peu, ils nous proposent beaucoup mieux : un terrain de jeux à l’écart du village où ils nous accompagnent à vélo. Les filles jubilent : on va vraiment dormir à côté du toboggan ! Et en plus, on y dort super bien !
Le lendemain, on rejoint l’estuaire de l’Elbe : du vent, des digues et des moutons. Ca nous change pas des masses de ce qu’on voit depuis un certain temps mais ça nous plait quand même. Pour varier les plaisirs, on teste une autre appli qui permet de trouver un jardin où mettre sa tente : 1nitetent. Et là c’est beaucoup plus convaincant. Karin et Stefan sont aussi sympas que leur jardin et on y trouve tout ce dont on a besoin, y compris une bonne douche chaude et un apéro ! Le lendemain, on déjeune sur la terrasse comme un matin d’été, le vent a poussé les nuages et a recouvert la tente de pétales de fleurs de cerisiers…
La journée s’annonce magnifique et on continue à remonter l’Elbe en direction d’Hambourg. Aujourd’hui, pour la première fois, on atteint les 20 degrés et on savoure notre pique-nique au soleil. La route est calme et douce, elle serpente entre les champs d’arbres fruitiers en fleurs et les belles fermes au toit de chaume et aux façades de briquettes et colombages blancs. Parfois, un énorme porte-containers passe sur le fleuve, la ville n’est pas si loin.
On pourra y être hébergés à partir de mercredi soir et on a donc trois jours pour faire 100 kilomètres. Comme en plus la pluie est annoncée, on trouve un camping à mi-chemin pour y passer deux nuits. Non seulement, le camping est calme et agréable – le genre de camping qui mérite d’être payé – mais en plus, on peut y louer un tonneau où dormir. Il y a deux ans sur les bords du Danube, quand on avait passé deux semaines à courir après Léna qui se trainait par terre sous la pluie en mettant les limaces à la bouche, on était tombé sur un tonneau miraculeux qui nous avait permis de passer une nuit salutaire au sec. Alma en parle encore et nous demande depuis qu’on est partis si on va encore dormir dans un tonneau. Alors bien sûr, il ne fallait pas manquer l’occasion !
Finalement, il ne pleut pas mais ce jour de pause est encore mieux sans la pluie. On pédale une quinzaine de kilomètres pour aller à la piscine où les filles sautent, glissent et jouent jusqu’à l’épuisement puis on rentre au camping pour retrouver la chaleur de notre tonneau et le confort de ses matelas ! Normalement, c’est demain qu’on se fera saucer alors on profite de notre soirée de luxe !