Carnet de route

Des dunes, des tulipes et des moulins…

On vit un peu notre arrivée aux Pays-Bas comme une libération. Il faut dire qu’on y trouve tout ce qui nous avait manqué en Angleterre : des pistes cyclables, du plat, des campings… et des gens aimables ! Et pour ne pas que notre jugement soit biaisé par une météo soudainement clémente, il fait toujours froid et souvent pluvieux. 

Dans le ferry pour Hoek von Holland, on nous réveille aux aurores et on nous rappelle dans les haut-parleurs à intervalles réguliers qu’on peut aller consommer au restaurant avant d’arriver. Il est très tôt dans l’absolu et encore plus sachant qu’il y a une heure de décalage avec l’Angleterre. Les filles peinent à émerger alors on les dépose délicatement dans la charrette avec leur pyjama et sous une polaire et on pédale jusqu’à trouver un coin propice à un petit déjeuner, qui ne se présente finalement qu’à Delft, 20 km plus loin. On y trouve un café agréable et beaucoup d’animation. On est en période de vacances et les touristes sont partout. 

Les nuages laissent passer quelques rayons de soleil et on se promène dans la ville au son des carillons. On sent que Vermeer est le héros local et les rues sont parsemées de laitières et de jeunes filles perlées. Les filles en repartiront avec une version Playmobil de la laitière qu’Alma nomme Marie-Servante et à qui elle fait préparer les repas à tous ses autres personnages ! 

On n’a pas vraiment de projet ni de destination, seulement besoin de se poser un peu et de faire une lessive ! On choisit donc un camping qui nous semble assez bien pour justifier de s’y arrêter un peu. Effectivement, les emplacements et les équipements y sont splendides. Mais comme souvent ici, on entend les avions au dessus de notre tête et l’autoroute à proximité. On ne sait pas s’il y a vraiment beaucoup de routes ou si, sans colline, tout s’entend de loin mais on remarque qu’où qu’on soit, il y a toujours en fond le bruit d’une route et souvent des avions qui nous survolent. 

Le lendemain, on laisse mon vélo au camping et on va faire un tour en tandem-charrette à La Haye. Les tours modernes se mêlent plutôt bien aux bâtiments plus anciens mais si le mélange interpelle. Miha avait un souvenir ému du musée Escher et on va donc y faire un tour. Les filles ne sont pas particulièrement réceptives à ses jeux de perspectives ni à ses pavages mais elles attendent plus ou moins sagement l’heure du pique-nique et de l’aire de jeux. 

Le jour suivant, miracle : le ciel est bleu ! D’un bleu que nous n’avions pas vu depuis Saint Malo. On hésite à en profiter pour rouler vite et loin et on décide d’en profiter justement pour ne pas rouler ! On va tout de même jusqu’à la mer à travers les dunes. On est en pâmoison devant la qualité des pistes cyclables, des indications et des parkings pour vélos. Heureusement qu’on fait le tour dans ce sens et qu’on ne fait pas l’Angleterre après les Pays-Bas, le chute aurait été encore plus douloureuse ! La plage est immense, lumineuse, au loin quelques bateaux et un champ d’éoliennes. Le vent souffle fort mais le soleil nous réchauffe. On est heureux avec nos doudounes et nos lunettes de soleil. Les filles courent dans tous les sens et inventent mille jeux. C’est pas souvent qu’on peut gouter un peu d’oisiveté ces temps-ci et on l’apprécie. 

On se rend compte un peu par hasard qu’on est en plein dans la saison des tulipes et précisément dans le coin où elles sont cultivées. On est même à quelques kilomètres à peine du plus grand jardin de tulipes au monde ouvert deux mois par an, le Keukenhof. En chemin, on passe par la jolie ville de Leyden qu’on visite dans le froid puis on pédale entre les champs de fleurs et c’est incroyable ! Tant de couleurs et tant d’odeurs ! Au Keukenhof, la foule nous effraie un peu. C’est très beau, bien sûr, mais on a un peu de mal à coller au décor : boutiques de souvenirs dans tous les coins, asiatiques endimanchées qui se font photographier sous toutes leurs coutures… Léna voudrait bien sentir chacune des fleurs mais comme on sait qu’il y en a 7 millions, on la presse un peu et Alma se souviendra probablement plus de l’orgue de barbarie qui faisait l’animation que des tulipes multicolores ! 

Heureusement, on a trouvé un camping en pleine nature à proximité qui nous ramène à ce que nous aimons mieux. Le soir, les lapins sautillent autour de la tente et les oiseaux chantent si fort la nuit que Miha croit qu’un téléphone s’est allumé tout seul ! 

Au bout de quelques jours à pédaler ici, on commence à se faire un avis sur ce pays. On est fascinés par le nombre de cyclistes et l’importance accordée aux vélos. Et évidemment, ça nous fait un peu rêver… On a aussi l’impression que rien n’est laissé à l’état sauvage ou délabré. Pas l’ombre d’une machine à laver balancée dans un fossé, d’un trou de route mal rebouché ou d’une façade de maison qui s’effrite. Même au milieu des dunes, on trouve toujours un joli panonceau, un pépé en vélo électrique ou un banc. C’est certes agréable que tout soit si bien entretenu et organisé mais on est presque déçus de ne jamais pouvoir se perdre ou se sentir vraiment seuls. 

Pendant quelques jours, on pédale sur des chemins au milieu des dunes en longeant plus ou moins la côte et c’est magnifique. Même avec le ciel gris foncé, c’est pour dire ! Ca nous donne très envie de faire du camping sauvage mais on sait que c’est interdit et on se dit que ce serait vraiment faire offense à la culture locale et à tous les campings alentours. On trouve donc des petits campings tranquilles et tous très agréables avec des salles de bain plus propres que chez nous ! On traverse quelques villes côtières touristiques assez affreuses et quelques jolis villages tranquilles en se débrouillant tant bien que mal à passer entre les gouttes. On a même quelques heures de ciel bleu qui rendent les photos encore plus belles. 

Par contre, les nuits sont toujours froides et on arrive à la fin du moins d’avril sans avoir une seule fois enlevé nos polaires (enfin sauf pour la douche) ! A croire qu’on pédale trop vite pour que le printemps nous rattrape… Les cerisiers commençaient leur floraison quand on a quitté le Pays basque et ils le sont encore ici. Après nous, le printemps ? En tout cas, on attend impatiemment le moment où on pourra ne pas s’emmitoufler dans les duvets dès le soleil couché, ne pas avoir à gérer la condensation de la tente tous les matins, ne pas s’habiller comme des oignons pour passer la journée dehors. On se réjouit en se disant qu’on rentabilise bien nos habits chauds et on se félicite chaque jour de trimballer des combis intégrales pour les filles et des bottines de neige pour Léna mais c’est tout de même une maitre consolation ! 

A force de pédaler vers le nord, on est arrivé à Den Helder et on a sauté dans un bateau qui nous a amenés sur l’île de Texel. Un bateau qui avait un pont exprès destiné aux vélos ! On a hésité à prendre le bateau directement parce que la météo n’était pas très engageante mais on a joué l’optimisme et nous voilà au sud de l’île en milieu d’après-midi. Et nous voilà sous la pluie quelques minutes après. On a repéré un tout petit camping avec des jeux pour enfants et une salle où s’abriter à une quinzaine de kilomètres alors on enfile notre costume de pluie et on l’affronte une fois de plus. Comme on aime les vrais défis, Miha s’ajoute une petite crevaison… la cinquième en un mois… avec des pneus increvables… Comme c’est toujours la même et l’unique de nos six roues qui crève, on se dit qu’elle doit avoir un problème et on finit par y trouver un minuscule morceau de verre incrusté dans le pneu. Espérons que le problème soit désormais réglé… 

Le camping est tout comme on l’imaginait, avec une salle dans laquelle on peut faire sécher tous nos habits mouillés, manger au sec les oeufs de la ferme et même jouer avec la montagne de Légo à disposition. La pluie tombe dru pendant toute la nuit et on se met à craindre que la tente n’y résiste pas mais on est étonnamment secs au matin. Il faut dire que le vent s’est levé et qu’il souffle aussi fort que la pluie tombait la veille ! Comme le ferry pour l’île de Vlieland ne circule pas ce jour-là, nous passons la journée à Texel. Le vent nous glace et on rêve de chaleur mais on ne trouve rien à faire en intérieur alors on va visiter le Juttersmuseum où est exposé tout ce qui a été ramassé sur les plages de l’île depuis une centaine d’années. Quelques carcasses de bateaux et canots de sauvetage, des tas d’ancres et de bouteilles d’alcool, des centaines de bouées et de jouets de plage, des murs entiers de chaussures et de casques… Et puis le contenu de containers à la dérive pleins de luges, de télévisions, de boites à outils, de chaussures, de tasseaux, de doudounes, de cigarettes, de meubles Ikea… Et aussi du plus insolite : un ordinateur d’un autre temps, quelques bouteilles à la mer, une collection de vaginettes… On y passe bien plus de temps qu’on imaginait puis on reprend le chemin de notre petit camping bousculés par le vent et les yeux rivés sur le compteur qui atteint les 2OOO kilomètres.

Les filles sont ravies de retrouver le trampoline et la collection de tricycles et tracteurs. Elles ne semblent pas le moins du monde affectées par le froid – et ça tombe bien ! Nous, on regarde la météo toutes les heures en espérant un miracle mais elle ne fait que nous confirmer que le vent souffle toujours très fort et que la température ressentie est de -2 degrés. On n’a plus qu’à espérer que la tente soit aussi vaillante face au vent que sous la pluie…