Carnet de route

Up and down… and up… and down…

Sur le ferry, on est réveillé par une douce musique et la voix de la capitaine qui nous dit que notre accostage est imminent. On se trouve au milieu des poids lourds à faire la queue au contrôle douanier et on est un peu impressionnés. On nous demande pourquoi on est là, pour combien de temps, on veut voir les filles dans la charrette, on scanne nos passeports… On n’a plus vraiment l’habitude de passer les frontières avec autant de cérémonie !

Pédaler sur le sol anglais va nous faire sacrément travailler les neurones ! D’abord il faut rouler à gauche, changer les rétroviseurs de côté, sortir l’adaptateur pour les prises, et puis il faut convertir tout un tas de trucs : les euros en livres, les kilomètres en miles, les litres en pints… Et même les couleurs des bouteilles de lait, rouge pour l’écrémé, vert pour le demi-écrémé et bleu pour l’entier. On soupçonne une volonté délibérée de se différencier par principe…

En tout cas, c’est le petit matin, nous sommes désormais sur le sol anglais, il ne pleut pas encore et on voudrait bien prendre notre petit déjeuner ! En sortant nos téléphones pour naviguer jusqu’à un parc, on se rend compte qu’ils n’ont pas de réseau. Et c’est triste à dire mais sans nos téléphones, on est vite paumés pour gérer l’itinéraire, trouver de quoi manger, repérer les aires de jeux, vérifier la météo… On passe donc une bonne partie de la matinée à régler ce problème puis on essaie de visiter les docks historiques de Portsmouth. Les prix d’entrée sont exorbitants mais on truande sans vraiment le vouloir et on reste un bon moment dans les entrepôts à regarder des bateaux. Après le pique-nique, on prend la route vers Salisbury en longeant la côte vers l’ouest sous un crachin qui nous met de suite dans l’ambiance anglaise et nous fait regretter le beau soleil de Saint Malo. C’est pas franchement joli et surtout, pas franchement cyclable.

On pose la tente au bord d’un petit lac, il pleut une bonne partie de la nuit, tout est mouillé et boueux, on se dit que les bottines fourrées de Léna vont être utiles bien avant la Norvège ! Dans le lac au petit matin, des mémés nagent avec leur bonnet de laine sur la tête. L’eau est à 11 degrés et elles trouvent que c’est bien parce que cet hiver, elle était à moins que 5 ! Ils sont fous ces grands bretons !

On continue notre route en direction du nord ouest sur des routes devenues vraiment moches et carrément désagréables. L’Angleterre a officiellement un grand réseau d’itinéraires cyclables mais qui ne ressemblent en rien à des pistes cyclables ! Comme Miha l’avait lu, c’est effectivement très bien balisé mais un étroit trottoir cabossé à contre-sens, même bien balisé, c’est complètement merdique pour faire du cyclotourisme ! On roule un tout petit peu sur des pistes cyclables, pas mal sur les trottoirs, beaucoup sur des routes sans bas côtés, le tout en montées et descentes permanentes. Certes, on emprunte quelques petites routes de campagne mais elles sont sans bas côté et toujours bordées de haies strictement taillées qui cachent la vue, ce qui n’est pas optimal en terme de sécurité ! Et encore, il ne pleut presque pas ce jour-là…

A midi, c’est réunion de crise. Je déteste pédaler ici et je me demande bien ce qu’on fait là, où on va et pourquoi ! Evidemment, j’en veux à Miha qui a voulu ajouter ce détour, bien malgré moi, à l’itinéraire prévu au départ. Il me propose de faire demi-tour et de reprendre un bateau mais je n’ai aucune envie de refaire ces deux jours de route et je me convaincs que ce sera bientôt plus agréable.

La route effectivement, devient moins circulante mais on se rend compte en longeant les champs que tout est clôturé et qu’il ne va pas être simple de trouver où camper. Comme on l’aurait fait en France, on choisit un village qui nous semble propice sur la carte et on décide qu’on campera par là. Sous la pluie, on s’adresse à des paysans, à des promeneurs de chiens et même à quelqu’un chez qui Miha va sonner pour trouver de l’eau mais on n’obtient aucune réponse ni aucun conseil, au mieux de l’indifférence. On finit par trouver un ancien cimetière à l’extérieur du village et on y pose la tente sur un tapis de feuilles mortes. On est finalement bien installés à l’abri et on y dort très bien, malgré le couple de faisans qui se font une cour bruyante à côté de la tente.

Le lendemain, il fait carrément beau et il faut bien reconnaitre que les petites routes de campagne sont jolies. Les sols autour des cottages de briquettes aux toits de chaume sont recouverts de jonquilles. On se souvient des impeccables pelouses écossaises et on voit bien qu’ici aussi, les jardins sont aussi bien entretenus… que clôturés ! Outre les jonquilles, les panneaux d’interdictions en tout genre fleurissent aussi : Keep out, No entry, Private Property, Beware of the dog. On sent qu’on ne rigole pas avec la notion de propriété et on sent aussi qu’on va bien galérer à trouver où camper ! On nous dit d’ailleurs de ne pas essayer de demander aux paysans un coin de leur champ pour la nuit car ils refuseraient certainement !

On est vraiment étonnés du peu de contact qu’on a avec les gens qu’on croise. En France, on n’avait pas imaginé être accueillis si souvent et si facilement, éveiller tant de curiosité et d’intérêt, faire de si belles rencontres chaque jour. Ici, personne ne nous aborde spontanément et on a des réponses très laconiques des gens à qui on s’adresse lorsqu’on a quelque chose à demander.

On arrive à Salisbury un vendredi saint ensoleillé au milieu des vacances scolaires. Inutile de préciser qu’on n’est pas seuls ! Il y a beaucoup de monde, pas de zone piétonne, pas l’ombre d’un rack pour attacher des vélos et la cathédrale est fermée. Mais on apprécie tout de même la ville – même si on se dit qu’il y a beaucoup trop de voitures ici… comme ailleurs…

On reprend la route dans l’après-midi vers Stonehenge, on a repéré dans le village d’à côté une grande aire de jeux sur laquelle on pourrait camper. On arrive assez tôt pour que les filles puissent jouer et pour tâter le terrain, au sens propre comme au figuré. On demande aux jeunes qui skatent, aux papas qui jouent au foot, aux mamans qui poussent les balançoires, aux vieux qui promènent leur chien et tout le monde nous répond qu’on peut se poser là sans problème, qu’on ne dérangera personne et qu’on y sera très bien. Par acquis de conscience, on se cache tout de même dans un petit coin derrière les vestiaires du club de foot et Miha installe le campement pendant que les filles jouent aux pirates sur l’aire de jeux. Au moment où le soleil se cache et où on s’apprête à investir la tente, le soit-disant manager du club arrive avec une grosse bagnole et bricole on ne sait quoi dans les locaux. En le voyant, je me demande s’il vaut mieux lui demander son avis mais comme il a l’air très con, je me ravise et espère qu’il ne nous verra pas. Espoir vain… L’apparence n’était pas trompeuse : il est très con et nous menace d’appeler la police si on n’est pas parti dans l’heure. On s’excuse poliment, on demande s’il y a un autre endroit où on pourrait passer la nuit sans déranger mais il s’en fout, il a apparemment juste envie de nous gueuler dessus. Etonnamment, les filles ne semblent pas du tout affectées, elles nous regardent replier la tente en continuant à jouer avec leurs amis imaginaires et se réjouissent toujours de dormir dans la tente, où qu’elle soit posée. On se rabat à la hâte sous un arbre en bord de chemin… ça fera l’affaire pour la nuit… puis on lance une deuxième réunion de crise l
Non seulement les routes ne sont pas adaptées au vélo mais en plus, c’est la galère pour trouver où dormir ! Et puis les températures frôlent toujours le 0 la nuit, on n’a presque plus de gaz, la batterie du téléphone ne tiendra pas un jour de plus, ça fait 3 jours qu’on plie la tente mouillée, qu’on ne s’est pas douché, qu’on fait la vaisselle au PQ et plus de 10 jours qu’on n’a pas fait de pause…

N’empêche qu’on ne va pas rester là alors il faut bien trouver quelque chose de constructif à faire ! On envisage un passage à Londres chez ma cousine, on se dit qu’on pourrait prendre le train, ou revenir sur la côte pour prendre un autre bateau. J’ai du mal à ne pas reprocher à Miha de ne s’être pas assez renseigné avant de nous embarquer ici et lui se sent un peu coupable sans pouvoir rien y faire maintenant qu’on est là… Alors on cherche des routes alternatives, des hébergements, des informations sur les coutumes locales… 

Ce qu’on obtient comme informations intéressantes, c’est que le camping sauvage est très compliqué en dehors des forêts mais qu’on peut dormir à proximité de certains pubs et que le réseau Warmshower fonctionne très bien. Comme on se sent pas trop de s’embarquer sur les chemins forestiers avec nos énormes vélos, on opte pour les autres possibilités et on trouve effectivement un pub derrière lequel on pourra camper le lendemain. Il s’avère que c’est un bord de route pas particulièrement bucolique mais qui fait très bien l’affaire. Et comme en plus ils servent des petits déjeuners, ça nous donne l’occasion d’initier les filles au « full english breakfast » !

Le jour d’après, il y a encore tout un tas de collines à passer. Il faut bien reconnaitre que c’est très joli mais on en bave sacrément ! On se tape des 10 km de montée et des 500 mètres de dénivelé positif, exactement ce qu’on voulait éviter avec nos vélos de 100 kg ! Mais je refuse désormais d’avoir les deux filles dans la charrette pour ce genre d’étape. Depuis qu’on est partis, il y avait toujours une bonne raison de les mettre à l’abri que ce soit le froid, le vent, la pluie, la fatigue, l’envie d’écouter leur radio ou d’être ensemble et voilà plus d’un mois qu’elles passent leur journée dans la charrette et moi la mienne à les tirer ! On instaure donc le fait que le matin, Alma va sur le Pino. Au début, elle rechigne un peu et puis elle s’invente des nouvelles amies imaginaires qu’il faut installer à côté d’elle et dont elle raconte les aventures à Miha !

Le soir, on arrive chez Christopher, un étudiant cycliste du réseau Warmshower, et son père Peter qui hébergent une famille d’ukrainiens depuis quelques mois. Macha a 6 ans et les filles, d’abord timides, finissent la soirée en bataille de polochon. Il faut dire qu’elles ont partagé une chasse aux oeufs de Pâques improvisée par Christopher dans leur beau jardin. Avec Yuri et Vera, on discute bien sûr de la guerre et ce qu’ils nous en racontent est bien loin de ce qu’on en entend ici. Peter et Christopher nous parlent du Brexit avec amertume autour d’un bon plat de pâtes et d’une colombe de Pâques italienne. C’est tellement intéressant de rencontrer des gens, de les entendre parler de leur pays, leur vie, leurs idées, et c’est ce qui nous manque le plus depuis que nous sommes arrivés en Angleterre.

Cette belle soirée nous redonne du courage pour pédaler jusqu’à Oxford et en plus, ce jour-là, non seulement c’est presque plat mais en plus, on a le vent de dos ! Comme c’est le weekend de Pâques, on ne trouve aucun Warmshower pour nous héberger et on réserve une chambre sur Airbnb en ville. On se dit que les propriétaires auront bien un coin où garer les vélos et on a même espoir de pouvoir y faire une lessive bien nécessaire… En réalité, c’est une toute petite maison avec trois chambres, toutes louées, et pas l’ombre d’un garage ni d’une laverie alentour. Alors on fait la lessive au lavabo et on déplace le canapé du tout petit salon pour faire dormir le Pino et la charrette dedans. Le lendemain, on va visiter le Peter Rivers Museum sur les conseils de Peter, une magnifique collection qu’il faudrait plusieurs jours pour explorer entièrement. Les filles sont fascinées par les squelettes de dinosaures et les animaux empaillés. Nous on a un coup de coeur pour le kway en boyau de phoque ! L’après-midi est pluvieux alors on marche dans les rues avec nos kway en peau de nylon pendant que les filles somnolent dans la charrette. La ville est belle et animée, pleine de verdure et de beaux bâtiments de pierre claire.


Demain, on prend la route de Cambridge qu’on devrait atteindre d’ici trois jours en enchainant encore plein de up and down et en espérant passer le mieux possible entre les gouttes. De là, on devrait pouvoir prendre un train qui nous amènerait à proximité du port d’Harwich et rejoindre des contrées plus favorables…