Carnet de route

Premier pays, premier mois, premiers mille km

On trouvait, à la fin du mois de mars, qu’une semaine sans pause, ça faisait long. Et voilà deux semaines que nous n’en avons pas fait… ce qui fait vraiment très long et laisse très peu de temps pour écrire !

A partir de Mayenne, la vélo Francette suit une voie ferrée désaffectée – désinfectée comme on m’avait expliqué dans un camping il y a quelques années. Ca nous plait bien parce que les pentes sont très douces et compatibles avec notre capacité à les monter ! Pour éviter Domfront dont on a entendu parler de la raideur des pentes, on bifurque sur la véloscénie avant la ville. L’architecture a changé, on reconnait en entrant dans les villages que nous sommes désormais en Normandie. 

Ce qui est moins sympa, c’est une fois de plus la pluie et le vent qui s’invitent et qui s’annoncent pire pour la nuit et les jours à venir. Sur la carte, on repère un camping à la ferme, certes fermé à cette période, mais on se dit qu’il y aura bien un coin pour poser notre tente, peut-être même une grange pour y être à l’abri. En arrivant à Saint-Mars-d’Egrenne, c’est un peu le paradis ! Miha vient de crever – on a déjà plus crevé en 1000 km que dans les 10000 derniers km qu’on a faits… – le vent souffle et le ciel menace mais on sait au premier coup d’oeil qu’on sera bien ici. C’est l’heure de la traite alors on va voir les vaches, puis les chèvres et leurs petits, les porcelets de quelques jours, les poules qui pondent un peu partout, les brebis prêtes à mettre bas. Matthieu, le propriétaire qui a plein de beaux projets pour en faire un lieu d’habitat animé et partagé, nous donne un jerrican d’eau et nous indique un cabanon dans lequel on peut passer la nuit, un cabanon de rêve, avec quatre matelas posés sur des palettes et un peu de place pour faire la cuisine. La nuit, au chaud dans nos duvets, on entend les trombes d’eau qui tombent sur le toit et on se demande dans quel état aurait été la tente au réveil… Au petit déjeuner, on mange coques les oeufs des poules du jardin et on boit le lait de la traite qu’on savoure tellement…

Le vent souffle encore plus fort au matin, c’est la tempête Mathis dont les bourrasques sont à plus de 80km/h. On prend tout de même notre courage et nos vélos pour l’affronter de face. Par chance, la voie verte est souvent protégée par les arbres – qui ont perdu beaucoup de leurs branches sur le chemin mais on zigzague avec brio. Quand on est à découvert, les bourrasques sont si violentes qu’on doit parfois descendre du vélo pour ne pas tomber et qu’on se cramponne à notre guidon pour réussir à maintenir une trajectoire. Impossible de pique-niquer sur un coin de couverture avec une météo pareille mais on ne trouve rien de mieux qu’une table sous un petit abri de bois. On sort nos victuailles et en quelques secondes, sans qu’on l’ait vu venir, des trombes d’eau puis un orage de grêle nous tombent dessus. On essaie de mettre les filles à l’abri dans la charrette mais la pluie est trop violente alors on les protège comme on peut en faisait barrière de notre corps ! Alma hurle dans les bras de Miha. Léna, stoïque, nous dit « y’a beaucoup de y’eau » ! Et effectivement, il faut à peine quelques minutes pour qu’on soit trempés. Quand le nuage passe, le pain nage sur la table et les sardines, dans leur boite, ont retrouvé leur élément aquatique… A ce moment-là, on se dit qu’on ne va clairement pas pouvoir camper et qu’il faudrait qu’on puisse sécher. 

On regarde la carte et j’appelle la mairie de Saint-Hilaire, à une vingtaine de km, je ne sais pas ce que j’en attends mais je me dis qu’il faut bien tenter quelque chose ! On me répond avec un bel accent du midi qui me fait déjà rêver de soleil. Au bout de quelques minutes de conversation et une manifeste bonne volonté pour nous aider, je demande si éventuellement, on pourrait avoir accès à une salle du camping municipal même s’il est fermé. Et là, c’est l’incompréhension : il n’y a pas de camping à Saint-Hilaire, enfin dans le Saint-Hilaire situé dans l’Aude où l’accent est si doux… Je reprends donc mon annuaire et téléphone à la mairie du bon Saint-Hilaire où l’accent est moins chantant mais l’accueil tout aussi bienveillant. Je laisse mes coordonnées et on me rappelle peu après : l’adjoint au maire nous ouvre le gîte pour randonneurs normalement fermé, nous prépare les lits et allume les radiateurs. On ne sait pas si c’est l’atout enfants-en-bas-âge ou l’avis de tempête qui a joué en notre faveur mais nous voilà au chaud et au sec, dans une grande maison pour 3O€ ! On se dit qu’on n’est pas vraiment aidé par la météo mais qu’on a quand même beaucoup de chance pour les hébergements !

Le vent n’est pas encore tombé mais au moins, on a bien dormi, on est propres et secs, et même motivés pour pédaler jusqu’au Mont-Saint-Michel. Le matin, on se prend nos averses quotidiennes mais on a désormais l’habitude de pédaler en kway intégral et le soleil se lève l’après-midi au moment où on arrive à proximité de la baie. Alma, pour une fois, a accepté d’aller à l’avant du Pino et c’est un ravissement pour tout le monde de pédaler dans ces paysages. Elle regarde avec émerveillement les agneaux qui sautillent dans les prés salés et elle s’entraine à dire les quelques mots d’anglais qu’elle connait puisqu’on va bientôt prendre un gros bateau pour aller en Angleterre. Et puis, au détour d’un virage, le Mont apparait. D’abord très lointain, presque flou, mais on ne se lasse pas de le regarder s’approcher à chaque coup de pédale. On s’arrête plusieurs fois faire des photos et reprendre notre souffle : le vent est épuisant et on est pourtant si heureux, un mois pile après notre départ, de cette première belle étape. 

Il est déjà tard et il fait froid. On hésite à poser la tente sur un des nombreux parkings, ou à tenter une aire de camping-cars et on ose finalement aller jusqu’à une ferme dont on a vu sur Home camper qu’ils accueillaient les campeurs mais qui est encore fermée et qui n’a pas répondu à mon mail. On hésite à frapper à la porte et finalement Anne nous ouvre avec Sidonie et Lison qui amènent bien vite Alma et Léna faire le tour de la ferme. L’aire de camping n’est effectivement pas praticable mais on peut s’installer dans une grange en poussant un peu la paille et c’est royal ! Les filles courent dehors jusqu’à la nuit tombée, Sidonie leur présente les vaches, Lison leur prête son vélo à roulettes, on assiste à la traite et on boit le lait tiède en apéro avant de retrouver la chaleur de la tente. 

Le matin, on laisse nos affaires pour aller visiter le Mont-Saint-Michel, si beau quand on s’en approche. Une fois dedans, on se dit qu’on aurait mieux fait de rester dehors tant la foule de touristes qui chemine devant les boutiques de souvenirs nous déplait. Les filles apprécient surtout les dessins dans le sable mouillé et la boutique Saint Michel sur le chemin du retour ! Et nous on se dit qu’on va plutôt retenir les magnifiques images de cette baie le long de laquelle on a aimé pédaler… 

On retourne chercher nos affaires à la ferme, sans trop savoir de quoi sera fait notre après-midi mais les filles sont attendues pour jouer et la conversation s’engage entre adultes. Benoit nous raconte sa vie de paysan, son troupeau, ses convictions qui nous parlent et nous font réfléchir. Leurs voyages à vélo aussi, avant les enfants et la ferme. On se dit qu’on aimerait bien en avoir une comme ça à côté de chez nous, on aurait du bon lait, de la bonne viande et des bons copains pour toute la famille ! A 17h, on finit par lever le camp un peu à regret, le vent est presque tombé et on va quand même faire quelques kilomètres pour s’approcher de St Malo. Lison est triste, elle voudrait encore faire du vélo avec Alma. Nous on se dit qu’on aurait eu encore plein de choses à se dire. Alma a l’impression qu’on part toujours quand on se fait des copains et c’est vrai que c’est malheureusement un peu ça, aussi, l’itinérance… D’ailleurs, elle voudrait qu’on refasse le même grand voyage quand celui-là sera fini, pour revoir tous les gens qu’on a rencontrés ! En tout cas, on sait où on posera nos affaires quand on reviendra dans le coin !

On pédale une vingtaine de kilomètres le long de la vélo maritime et on décide de s’arrêter pour la nuit à côté d’une toute petite chapelle au bord de la mer. La vue est magnifique, au loin la silhouette du Mont d’un côté, les lumières de Cancale de l’autre. Le vent souffle encore mais la chapelle nous abrite, on savoure la beauté de cet endroit si simplement trouvé. 

Au matin, enfin, le vent est tombé et le ciel est bleu. La voie suit la côte et même si le chemin est un peu chaotique, c’est très agréable d’y pédaler. Après un conciliabule familial, on décide de couper par les terres pour passer par Décathlon avant de rejoindre Saint Malo. On a beau avoir longtemps réfléchi au matériel à apporter, Léna a des chaussures trop grandes et qui prennent l’eau. Après bien des essayages, on sort du magasin avec des chaussures de marche et des bottines de neige imperméables en pensant aux Petits guidons qui ont eu un mois de pluie et 10° pendant tout le mois de juillet en Norvège… 

A Saint Malo, le camping est tout proche du centre et surtout tout proche de la mer. C’est le premier camping ouvert que l’on trouve et il vaut la peine ! Le matin, il fait un temps magnifique et on déjeune tranquillement au soleil. Alma nous demande si c’est le vrai printemps qui est arrivé et ça y ressemble en effet ! On passe la journée dans la ville, à se promener dans les rues, à manger crêpe et glace, à courir après les goélands sur la plage, à arpenter les remparts. Quand les filles sont vraiment trop fatiguées, on les met dans la charrette et on pédale le long de l’immense plage. Le soleil commence à baisser et la luminosité est splendide. On pédale lentement pour savourer, les yeux plissés et les cheveux dans le vent… 

Le ferry pour l’Angleterre part à 20h3O, on a encore le temps d’acheter des chips au sarrasin, un camembert, du caramel au beurre salé et un lot de tétines à Léna qui les sème en chemin et on rejoint le port. Le bateau est immense, on se sent minuscules avec nos vélos. Lorsqu’il largue les amarres, c’est l’excitation. On est seuls sur le pont sous la pleine lune et dans le soleil couchant. Les filles dansent et chantent, elles sont si heureuses de passer la nuit dans un bateau et de savoir qu’elles se réveilleront dans un autre pays. Et nous on est si heureux d’être là, ensemble. Les remparts de Saint Malo s’éloignent et nous, on a l’impression qu’on va conquérir le nouveau Monde… jusqu’au lendemain matin… 

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