Sicile

Au paradis du géologue



  Peu avant Licata, on traverse plusieurs villages qui semblent totalement abandonnés. Les façades sont décrépies, les volets claquent, des chiens errent au milieu des poubelles éventrées… On comprend au vu de certaines maisons et de l’état des routes qu’un tremblement de terre a dû ravager les lieux qui ont été désertés. Globalement, les villes et villages que nous traversons dans le sud de l’île sont sales et moches, souvent morts ou moribonds. Très loin en tout cas de l’image que nous avions des petites bourgades méditerranéennes baignées de soleil…

Licata, au moins, est vivante et animées. Mais la nuit tombe vite et on se dépêche de sortir de la ville pour trouver une plage au calme pour la nuit. Il fait déjà sombre et nous en sommes encore à explorer des coins sablonneux où trainent chiens et déchets quand un autochtone nous aborde. Au bout de quelques minutes à peine de pseudo discussion en italien nous propose de dormir dans son jardin et sa femme insiste que nous acceptions l’offre. En réalité, ce n’est pas simplement un coin d’herbe mais une maison toute entière dont nous pouvons profiter. Avec douche chaude et matelas à ressorts ! A cette occasion, nous découvrons que les siciliens évitent les hésitations sur le choix du simple ou double vitrage en optant pour l’absence de vitrage sur toutes les fenêtres de la maison ! D’ailleurs, malgré les volets fermés, le vent souffle à l’intérieur ! En effet, le sirocco s’est levé, ce vent certes chaud mais qui souffle par violentes bourrasques et qu’il nous faut affronter au matin.

On en bave dur pour arriver jusqu’à Gela où on décide de faire en train les 50 km qui nous séparent encore de Ragusa, épuisés par le vent. Avant de la quitter, on fait un tour dans la ville, une ville sale, agitée, bruyante, anarchique. L’application du code de la route semble optionnelle et c’est généralement la plus grosse voiture qui passe en premier. Inutile de dire qu’il n’est pas simple de circuler à vélo… La même anarchie règne sur les rails : le train que nous devons prendre est annoncé sur une voie mais part d’une autre sans que cela n’étonne personne d’autre que nous… 
 
 
 
A Ragusa, on traverse la charmante ville basse avant de gagner le fond de la vallée qu’elle domine. Là, nous trouvons un champ d’oranger pour poser la tente : le petit déjeuner sera vitaminé ! Notre route continue par monts et par vaux pour rejoindre Noto en passant par Modica. Il parait que son chocolat est inimitable mais on le trouve bien décevant et on lui préfère les fameux granités. 
 
Sur la route de Noto, enfin, on se dit qu’on a bien fait de venir ici à vélo. Aux villages de vacances abandonnés et aux routes trop fréquentées succèdent les champs de citronniers séparés par des murets de pierres. Et ce jour-là, en plus et pour la première fois, nous avons le vent de dos ! Seules demeurent encore les décharges sauvages qui polluent le paysage en plus de la terre. Les déchets en tous genres jonchent inlassablement le bord des routes et j’en viens à penser que c’est parce que le mot « rifuiti » est si chantant qu’ils cultivent tant l’art du détritus !
 
A Noto, on goute aux meilleures glaces du monde selon le guide avant de regagner la côte à la tombée de la nuit. Au hasard, nous nous adressons au bar du coin pour obtenir des conseils camping et on nous propose directement le jardin de la maison attenante. L’accueil des Siciliens est décidément incomparable ! 
Arrivés à Syracuse, on tombe directement sur le marché. Les vendeurs de légumes hurlent, les poissonniers décapitent les espadons, les fromagers font gouter leur mozzarella… La foule est dense et le soleil éclatant. Nous sommes bien en Sicile ! On passe l’après-midi à arpenter les ruelles étroites d’Ortiglia et on passe la nuit dans un B&B dont la terrasse au dessus de la mer compense aisément l’absence de scottish breakfast ! 
 
Le lendemain, on atteint Catania après de longs kilomètres de grosse nationale, raffinerie et vent de face. La ville est très animée et on y tourne en rond un bon moment avant de se résoudre à passer la nuit dans l’auberge de jeunesse idéalement située au-dessus d’une boite de nuit et au-dessous de la voie ferrée ! 
 
De toute façon, on se lève aux aurores pour prendre le Circumetna, petit train touristique qui fait le tour du volcan et dessert les villes qu’il domine. Il n’est pas simple de faire entrer nos vélos dans l’unique wagon mais les contrôleurs semblent bien lunés et nous aident dans notre entreprise de bourrage de compartiment ! 
 
 Les pentes sont raides et le wagon peine mais les paysages sont impressionnants. On traverse tantôt des prairies florissantes d’un vert profond, tantôt des champs de pierre volcanique où quelques pistachiers courageux survivent : on voit nettement où sont passées les coulées de lave… Le cratère enneigé crache continuellement sa fumée dense. Magnifique tableau ! 
 
A Randazzo, on descend du train pour continuer en pédalant. Là comme ailleurs, on a l’impression d’être l’attraction locale et on nous observe avec des yeux ronds. Dans tous les endroits habités que nous avons traversé, nous avons toujours croisé des groupes d’hommes, souvent d’un certain âge, qui trainent, assis sur un banc ou à la terrasse d’un café. Il semble bien que regarder les passants soit une activité privilégiée alors lorsqu’en plus, le passant est un voyageur sur selle, ils ne boudent pas leur plaisir ! 
 
A Randazzo, donc, on descend du train et on bifurque au nord pour rejoindre la côte au niveau des îles éoliennes : 50km de route de montagne pour franchir les Monti Peloritani. L’ascension jusqu’au col se fait sur fond d’Etna fumant. Les paysages sont splendides, on monte lentement mais sûrement avant de descendre à toute vitesse les 20 km qui nous séparent de la côte nord de l’île.