La Lettonie
Nous pédalons souvent la tête en l’air, les yeux rivés sur les nuages qui se déplacent plus vite que nous en espérant deviner lequel nous tombera dessus. Un ciel bleu peut s’obscurcir en quelques minutes sans que l’on sache d’où viennent les nuages. L’inverse est plus rare ! Mais on subit patiemment les averses quotidiennes sans que la motivation ne faiblisse d’un poil ! On supporte la fraicheur des températures avec le même fatalisme, contrairement aux Lettons eux-mêmes, souvent dépités qu’il puisse faire moins de 15 degrés en août ! « L’automne est déjà là », disent-ils, alors qu’on ne perd pas espoir de voir encore quelques beaux rayons de soleil !
La Lettonie nous semble encore plus déserte que la Lituanie. Dans le premier village que nous traversons, nous nous demandons ce qu’il s’est passé pour qu’il soit si mort ! Après en avoir croisé plusieurs, nous en déduisons que les villages en général sont d’une tristesse à pleurer. On y voit peu de passants, aussi peu de voitures, aucun commerce. Seulement quelques maisons proprettes aux pelouses bien tondues le long d’une rue au calme assuré !
Sur les routes, nous découvrons avec le même étonnement que le goudron n’est pas la norme. Les grands axes, certes, sont asphaltés, mais les routes secondaires, y compris au sein des villages, sont, la plupart du temps, des pistes sablonneuses et bosselées qui nous l’impression de pédaler sur des planches à laver, comme dit si bien le guide du vélo letton ! Ce qui nous plait bien, c’est qu’on se croit parfois presque en Islande : des étendues désertes, des pistes, du froid, de la pluie… on s’y croirait !
Et puis nous arrivons à Ljepaja et c’est la révélation ! Le marché regorge de légumes, fruits, champignons, pâtisseries, et nous en achetons plus que de raison ! Les girolles et les myrtilles coutent 3€ le kilo, le poulet fumé est dépaysant, les yaourts au poids réjouissants ! Le tout accompagné de kvass, cette boisson à base de levure fermentée dont Miha s’abreuve quotidiennement. Et en plus, il fait beau ! Alors on traine un moment sur la plage à observer les championnats d’Europe de planche à voile. Pendant quelques heures, quelques heures seulement, on se sent en été… En quittant la ville, on s’arrête à la prison de Karista, vestiges des joyeusetés soviétiques dont on voit encore partout les traces. Ils proposent même de passer la nuit comme un prisonnier, réveillé et violenté par les mâtons, mais on fait l’impasse sur cette attraction touristique !
Ayant lu que la Courlande offrait « des kilomètres d’une éblouissante beauté naturelle », on n’hésite pas un instant à en longer la côte jusqu’au cap Kolka. Mais les kilomètres en question, sont, dans les faits, d’une désespérante monotonie. Des centaines de kilomètres d’une route parfaitement rectiligne coupant des forêts de conifères à perte de vue… De cette route, on ne voit ni la mer ni les villages côtiers, seulement des pins immenses et quantité de champignons divers et variés que l’on passe nos soirées à préparer !
A Mazirbe, on trouve un camping minuscule qui arbore un bel écriteau : « Sauna ». La saison n’y est pas propice mais les températures le sont et on passe la soirée à suer dans une charmante maisonnette de bois éclairée à la bougie. Ici comme dans la majorité des campings, il n’y a pas de douche ni de lavabo et on se pose des sérieuses questions sur les habitudes baltes en terme d’hygiène !
En chemin, on tombe sur une fête de village au cours de laquelle des lettones en costume traditionnel animent en chantant la remise officielle de la cuillère en argent aux enfants nés dans l’année. On y rencontre un couple d’américains originaires des lieux qui nous parlent des us et coutumes locaux et nous mettent en garde contre la météo estonienne. Ils y ont pédalé il y a quelques années et en ont déduit que le blanc, le bleu et le noir du drapeau étaient les couleurs d’un ciel toujours menaçant. Ils nous disent aussi que le vent souffle généralement du sud-ouest et on se réjouis qu’il nous soit, pour une fois, favorable.
On pédale d’ailleurs bien vite jusqu’au cap Kolka, zigzaguant tant bien que mal entre les averses et ne choisissant nos lieux de pause qu’en fonction des champignons qu’on y trouve. On dévore cèpes, girolles, coulemelles, pieds de mouton et poignées de myrtilles dont on ne se lasse pas. Et on visite au hasard d’un chemin de forêt, le fameux musée des cornes et bois, un lieu unique en son genre !
Au cap Kolka, les eaux tumultueuses de la baltique se confrontent à la mer d’huile du golfe de Riga sans s’y mélanger. On admire l’immense plage de sable blanc sur laquelle sont disposés quelques tonneaux dans lesquels on peut passer la nuit face à la mer. On en avait entendu parler peu de temps avant mais les réservations sont déjà complètes plus d’un mois à l’avance. On continue donc notre route en traversant le village de Kolka, dans le top 10 des bleds lettons glauques ! Pas moyen d’y retirer du cash ni même de l’eau potable en dépit de nos nombreuses requêtes. Seul le kiosque à poisson fumé ne semble pas mort, alors on reprend la route tristement, sans eau et sanas argent, en quête d’un coin tranquille où poser la tente pour la nuit.
L’endroit où nous pensions nous arrêter est en réalité un charmant petit camping dans lequel on peut miraculeusement payer par carte ! On peut surtout y passer la nuit dans un tonneau, les mêmes qu’au cap Kolka, posés sur la plage face à l’horizon. La nuit est encore plus venteuse et pluvieuse que les précédentes et on se réjouit de cet abri inespéré. Comme on s’était juré de se baigner lors de notre prochaine nuit en bord de mer, on tente une toilette dans les vagues et sous le parapluie. Puis on cuisine les kilos de champignons cueillis dans la journée et on met même le réveil au milieu de la nuit pour voir le soleil se lever depuis la vitre de notre tonneau….
La route reste la même jusqu’à Jurmala, bordée de pins et de myrtilles, parfois très roulante, souvent beaucoup moins. Sur le bord, des vieilles vendent leur cueillette de fruits, baies et champignons. Par curiosité, on s’y arrête, intrigués par des bouteilles au contenu blanchâtre. De ce que nous comprenons, il s’agit d’eau de bouleau fermentée dont les multiples vertus nous font céder. Dès l’ouverture, on sent le mauvais plan aux effluves qui en émanent et la première gorgée confirme nos craintes. On a beau vouloir beaucoup de bien à nos corps, on renonce à s’infliger cet insurmontable sacrifice et on abandonne la bouteille à qui saura l’apprécier.
Selon les guides, Jurmala serait incontournable. Nous ne le contournons donc pas. Sur des kilomètres, d’immenses maisons, parfois flambant neuves, souvent délabrées, se succèdent. La rue principale est pleine de boutiques fermées pour la plupart et on y trouve même à nos dépens le seul café qui ne sert pas de café ! Ajoutons la pluie à ce tableau déjà sombre et voilà une ville que nous quittons bien vite pour rejoindre Riga.
Les rues y sont vivantes et agréables, le marché regorge de poissons fumés en tous genres et on y assiste au tournage d’un film en costumes. Le ciel est encore très menaçant et ayant déjà largement gouté à la pluie lettone, on décide de prendre un bus jusqu’à Pärnu pour pouvoir profiter de l’Estonie pendant les 10 jours qu’il nous reste. En théorie, les bus prennent les vélos s’ils ont de la place en soute. En pratique, la communication avec les chauffeurs n’est pas simple et l’affaire semble bien plus compliquée que prévue… Et puis, apitoyé par nos airs dépités, un chauffeur vient nous faire comprendre, au moment de quitter la gare, que nous pouvons entasser nos affaire dans un coin de son bus, pour une modique somme qu’il se met dans la poche…