57° 43′ 03″ N 10° 35′ 23″ E
L’avantage du vent – car oui, il y en a un – c’est que lorsqu’il s’arrête, on se sent pousser des ailes… Bien sûr, il ne s’arrête jamais totalement mais parfois il se calme ou il n’est plus vraiment de face. Et Frida semble alors fendre l’air sans effort !
Le visage de la côte change lentement au fur et à mesure qu’on monte vers le nord. Elle n’est plus habitée seulement par des touristes allemands et devient plus sauvage. Certains villages ont même l’air d’avoir une âme, de vivre d’autre chose que du camping local et du magasin de souvenirs. Les dunes restent mais se couvrent de pins et les plages de sable blanc, toujours désertes, s’élargissent.
Les paysages me plaisent plus aussi parce que j’ai renoncé à m’acharner sur des chemins caillouteux et le décor défile un peu plus vite quand on pédale sur une vraie route, d’autant qu’elles sont peu fréquentées.
Pourtant, un camping car me double et me fait des grands signes : Rüdiger, sorti d’on ne sait où, dans son beau camion blanc ! Il ne se sent plus de joie et pour montrer sa belle voix, il dégaine son harmonica et me joue une sérénade là, sur le bord de la route ! Quel hasard de m’avoir retrouvée ! Et quelle chance ! Alors il me gratifie du compliment suprême : il m’a vue pédaler de loin et m’a reconnue de suite parce que ma force tranquille lui rappelle… sa moto ! En voilà un homme qui sait parler aux femmes ! Conquise, j’accepte de venir boire un café dans son camping car. De toute façon, j’ai assez lutté contre le vent pour aujourd’hui, la pause est bienvenue. Heureusement, sa canne à pêche est réparée mais il a bien d’autres choses à me raconter et j’observe avec fascination son impressionnante capacité à monologuer… Avec beaucoup d’habileté, on peut quand même parvenir à extraire quelques éléments intéressants de son flot de paroles, à propos des vestiges de la deuxième guerre restés sur la plage par exemple : des canons qui peuvent tirer jusqu’à 120km pour empêcher les anglais de positionner leur flotte dans la mer du nord, des bunkers échoués sur le sable et léchés par les vagues. Ce soir là, le vent souffle très fort et ce paysage d’un autre temps sur fond de ciel orangé est impressionnant.
Le problème avec Rüdiger, c’est que même à l’heure où on dort, et même quand je dors me semble-t-il, il continue à parler… Alors au matin, c’est-à-dire à 5 heures du matin quand je suis définitivement lassée qu’il me réveille toutes les demi-heures en me demandant si je dors, je prétexte adorer le vent qui souffle plus fort que jamais et je reprends la route. De toute façon, c’était sûr désormais, il est plus fatiguant que le vent ! Et puis son enthousiasme démesuré à mon égard me faisait craindre une imminente demande en mariage !
La journée est belle, en feintant sur l’itinéraire, on peut avancer malgré le vent et on peut même courir pieds nus dans le sable chaud des dunes… A Rubjerg, je passe devant l’ancien phare. Il a été déplacé plusieurs fois parce que la mer gagne peu à peu du terrain sur la terre et que le sable le dévorait à petit feu. Et puis la nature a fini par gagner le combat et le phare est désormais à moitié ensablé et n’est plus au bord de l’eau.
Certes, le camping sauvage est interdit au Danemark mais on peut trouver ce qu’ils appellent des campings « primitifs », c’est-à-dire un abri en rondins, une table, parfois un point d’eau, le tout souvent accessible uniquement à pied ou à vélo – et pas en camping car de Rüdiger donc ! Celui que je trouve est à proximité d’un ancien moulin, dans une clairière surplombant la mer en lisière de forêt : ne cherchez plus, le plus bel endroit pour camper au monde est là ! Même en tendant l’oreille, pas l’ombre d’un bruit si ce n’est le vent, les vagues, les oiseaux et quelques chevreuils lointains. Un sentiment de plénitude dans la solitude, probablement que le bonheur pourrait ressembler à ça ! Je quitte le Danemark bientôt et j’ai trouvé ce que je venais y chercher…
Le soleil descend lentement sur la mer. Depuis mon abri, je vois le ciel s’enflammer et ne jamais s’assombrir totalement. A minuit, je peux encore lire sans lumière. A 2h00 du matin, j’ouvre un œil, il fait plus clair, les oiseaux du matin chantent déjà. Je me dis que la vie d’un coq scandinave ne doit pas être de tout repos !
Le temps est toujours radieux et je pédale jusqu’à Skagen, point le plus au nord du Danemark et de mon voyage aussi. Le port sent le poisson et la mer Baltique est aussi bleue que la mer du nord. Rien d’étonnant. Et puis je vais dormir à Frederikshavn puisque le ferry pour Göteborg y part le lendemain. Au camping, je rencontre Sindre, norvégien en route vers un obscur festival de musique et avec qui je passe la soirée. La plage est plantée de palmiers, ce sont les palmiers les plus nordiques du monde, m’avait expliqué Rüdiger ! Et c’est vrai qu’ils sont surprenants et dépaysants !
Au bout de la plage, un parking. Sur le parking, le camping car de Rüdiger… Cette fois, c’est sûr, ce n’est pas un hasard. Il sait que je prends le ferry le lendemain et il n’est pas là pour rien ! Alors on s’échappe en courant comme des voleurs de pommes ! Et puis Sinder a fait les championnats du monde de karaté alors je ne m’inquiète pas !
Demain, je traverse la mer. Il parait qu’un type a déjà marché sur l’eau mais un camping car, jamais !
9 Comments
Jeanne Rivière
Stockholm, c'est pas pour cette fois… Il faut bien garder quelques destinations sous le coude pour les prochaines vacances… 😉 !
Jeanne Rivière
Le vent n'est décidément pas mon ami ! Mais je dirai à Frida qu'elle a un admirateur en Lorraine, ça lui donnera du courage pour l'affronter vaillamment !
Jeanne Rivière
J'ai gardé la carte du plus beau coin de camping sauvage du monde ! Je pourrai te refiler le tuyau !
Jeanne Rivière
Cher Florian,
Ce voyage n'est en réalité qu'un hommage à l'Alsace. J'ai d'abord pensé à la forme du bretzel et j'ai finalement choisi celle de la cigogne pour plus de poésie…
Unknown
As-tu remarqué que ton parcours sur la carte prend la forme d'un cygne, où d'un gros canard, au choix. Ou encore d'une cigogne !
Geneviève
A ce stade, c'est presque quantique… Après le chat de Shrodinger, le camping-car de Rüdiger ! Mais je dois dire que quand tu décris le camping primitif et les paysages, je t'envie et je rêve de voir cela aussi !
Geneviève
Anonyme
Jeanne, c'est toujours un bonheur de lire ton récit de voyage : ça me fait rire et tous les matins mon petit vélo sur son trajet quotidien rêve aussi de Frida. J'espère que le vent te poussera désormais ! À bientôt,
— Veronika
Anonyme
Jeanne, tu es devenue la Déesse du Gros Vent!
Joachim
Anonyme
Salut Jeanne,
Tes récits me font rêver…. Continue à profiter de l'air pu et des paysages magnifiques et bon vent vers la Suède sans Rüdiger! Et si tu y fais un tour, salue Stockholm de ma part.
A bientôt
Agathe.